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Oddworld : Soulstorm - une suite frustrante et sans âme

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Cinq ans après New'n'Tasty, remake trait pour trait de l'Odyssée d'Abe, la saga est de retour avec Oddworld : Soulstorm, une réinvention du second épisode sorti sur Playstation en 1998. Un pari risqué pour une série qui semble toujours se chercher.

Pas facile de s'y retrouver dans l'univers d'Oddworld. Entre remaster, remakes et portages, la franchise se décline à toutes les sauces sur toutes les consoles depuis plus de dix ans. Pourtant, ce Soulstorm est le premier jeu original de la saga depuis La Fureur de l'étranger sorti en 2005.

Un faux air de remake

Même si Soulstorm reprend certains éléments de la trame scénaristique de L'Exode d'Abe sur Playstation, c'est en réalité un jeu totalement différent dans sa narration, son contenu et même son gameplay.

Les évènements d'Oddworld : Soulstorm se situent directement après ceux relatés dans New'n'Tasty. Abe vient de détruire l'usine Rupture Farms et de sauver ses employés des griffes de Molluck le Glukkon. Néanmoins, ce dernier a survécu et pourchasse Abe et ses compagnons. En fuyant la menace, Abe va découvrir un nouveau mal frappant ses semblables et qui semble lié à la mystérieuse brasserie Soulstorm. Le messie des mudokons va devoir à nouveau sauver son peuple en allant chercher des réponses aux confins d'Oddworld.

Oddworld : Soulstorm

Oddworld comme vous ne l'avez jamais vu

Cet univers imaginaire n'a probablement jamais été aussi beau et détaillé que dans ce Soulstorm. Si les jeux Oddworld ont toujours su se démarquer par des décors très soignés, cet épisode ne fait pas exception et la plupart des environnements sont particulièrement impressionnants.

Comme dans le jeu d'origine, ceux-ci se présentent sous la forme de niveaux en 2,5D avec deux plans. Le premier plan sur lequel Abe évolue et l'arrière-plan où se tiennent certains ennemis et se déroulent d'autres évènements.

Oddworld : Soulstorm - extérieur

Les animations des personnages ont également fait l'objet d'un travail en profondeur. Les Mudokons et les Sligs font plus vrais que nature. Voir le dirigeable de Molluck vous survoler ou un train traverser l'écran pendant que vous escortez vos amis vers la liberté fait son petit effet. On peut simplement regretter quelques textures un peu approximatives et des ralentissements désagréables quand trop de personnages apparaissent à l'écran.

Un monde inhabité...

Globalement, le jeu est donc plutôt réussi graphiquement mais on aurait aimé un peu plus de variétés dans les créatures rencontrées. Dans Oddworld : Soulstorm, vous ne retrouverez ici ni Scrab ni Paramites, ni Mudokon sauvage. Mis à part des petites créatures nocturnes du nom de Leeches, vous croiserez essentiellement des Sligs, au sol ou dans les airs, armés d'une mitraillette, d'un fusil à pompe, d'un lance-flamme ou d'un bazooka. On n'a rien contre le Sligs mais cela manque un peu de vie.

Les environnements sont un peu plus variés mais leur level design est assez inégal. Le titre ne laisse que peu de place à la contemplation et a tendance à remplir au maximum ses niveaux d'embûches et d'ennemis. Malgré le travail réalisé sur les décors, ceux-ci ne respirent pas assez pour reproduire la poésie et le charme des épisodes PS1.

Oddworld : Soulstorm - fuite

...et désenchanté

Une impression qui se confirme manette en main. À ses débuts en 1997, la saga Oddworld avait su séduire par son univers mais aussi par son gameplay. Celui-ci reposait sur deux mécaniques originales et complémentaires : l'envoûtement et le Gamespeak. Les deux subsistent dans Soulstorm mais ont été vidées d'une bonne partie de leur substance.

Un pouvoir de contrôle réduit

L'envoûtement permet toujours de manipuler d'autres créatures mais seulement des Sligs. Comme dit plus tôt, Scrab et Paramite ne sont plus et les Glukkons ne sont pas contrôlables. Impossible également d'envoûter vos flatulences, une feature assez importante du jeu d'origine. Sa disparition n'est pas dramatique mais cela dénote d'une certaine volonté de réduire un peu plus les petites excentricités qui faisaient le sel de la saga.

Abe n'a plus les mots...

Le Gamespeak est de son côté l'élément le plus présent dans les cœurs des joueurs d'Oddworld. Grâce à plusieurs boutons, vous pouviez engager la conversation avec d'autres Mudokons pour les enjoindre à vous suivre et d'échapper à leur condition. Il était possible de les saluer, leur demander de vous suivre ou leur dire d'attendre mais aussi péter pour les faire rire. Dans l'Exode d'Abe, il fallait aussi consoler certains mudokons déprimés, recadrer les individus hilares et composer avec vos congénères colériques.

Tout ceci est de l'histoire ancienne. Désormais vos interactions se limitent à "suis-moi" et "attend" soit pour un individu, soit pour un groupe. En conséquences les mudokons avec lesquels vous discutez dans le jeu sont identiques, sans humeur, sans différences ni aspérités. Exit également les mudokons aveugles présents dans le jeu d'origine. La communication n'est clairement plus au centre de l'expérience.

Une alchimie perdue

Envoûtement et Gamespeak se combinaient en vous donnant la possibilité de parler dans la peau des créatures contrôlées. Les sligs pouvaient par exemple donner des ordres aux Slogs ou aux Mudokons, ou répéter des mots de passe pour pénétrer dans des endroits sécurisés. Toutes ces mécaniques ne recouvraient pas la même utilité mais participaient à donner une vraie identité au jeu. Elles ont complètement disparu. L'envoûtement n'est qu'une mécanique parmi d'autres, le Gamespeak n'est plus que l'ombre de lui-même et la cohérence entre les deux un lointain souvenir.

Dans Soulstorm, vous allez juste devoir secourir beaucoup de Mudokons à travers de très très nombreux pièges et en essayant d'éviter au maximum les innombrables Sligs. Et pour cela pas besoin de gamespeak, juste d'armes en tous genres. Oddworld : Soulstorm - décor

Des armes qui tuent le rythme

Comme disait John Rambo "si vous n'avez pas d'armes alors vous ne changerez rien". Dans Oddworld : Soulstorm, Abe est devenu une sorte de MacGyver capable de transformer le contenu d'une poubelle ou d'un casier en cocktail molotov, bombe, mine antipersonnel ou lance-flamme, tout simplement. Même si foncer dans le tas armé jusqu'aux dents n'est jamais la bonne solution et que l'infiltration reste de rigueur, on se demande bien quelle mouche a piquée Lorne Lanning, créateur de la série, pour prendre une telle direction.

D'une part, ce nouveau gameplay tranche furieusement avec l'esprit de la saga, d'autre part, ce n'est pas du tout optimisé. La gestion de l'inventaire est mauvaise, la fouille inintéressante, le craft pas vraiment abouti et les trois éléments combinés cassent complètement le rythme du jeu.

À défaut d'éléments de charmes et de caractères, les niveaux sont remplis de poubelles et de casiers. Le jeu vous récompense même d'un badge si vous fouillez tous les casiers d'un niveau. Encore une fois, pour l'âme et la poésie, on repassera. Et que dire du lancer de ses projectiles dont la visée au stick droit est tout sauf intuitive ? J'ai mal à mon Gamespeak.

Oddworld : Soulstorm - éclair

Super Sligs et maudits mudokons

Les poches pleines de munitions, Abe doit maintenant sauver des centaines de mudokons. Oubliez l'individu, place au nombre. Vous en perdrez forcément une partie au passage sous les tirs des Slig, les lames des foreuses, ou les crocs des slogs. De toute façon, ils sont bien trop stupides pour survivre et l'ennemi beaucoup trop rusé pour ne pas les aligner.

Rarement aura-t-on vu un décalage aussi fort entre une IA alliée une IA ennemie. Les Sligs sont omniprésents, voient tout et anticipent toutes vos actions. Il est même délicat de se fier à leurs patterns ou leurs cônes de vision tant ils s'en affranchissent pour vous mener la vie dure. À l'inverse, vos camarades mudokons sont un peu mous du bulbe et ont toujours un temps de retard dans leurs actions qui vous réclament pourtant souvent un timing quasi parfait.

Une difficulté ahurissante et injuste

Ajoutez à cela des bugs par dizaines, des problèmes de hitbox, des choix de level design menant directement au trépas et le pire système de checkpoint vu depuis des années et vous obtiendrez un jeu terriblement frustrant. Même les mécaniques basiques du jeu, comme le saut, souffrent d'imperfections et l'étrange ajout d'un double saut n'arrange rien à l'affaire. Les jeux Oddworld ont toujours été exigeants mais cette difficulté était atténuée par un level design limpide et un gameplay très accessible.

Désormais, il vous faut maîtriser la portée de chaque projectile, bien connaître le maniement des armes sligs, trouver les bons outils, enchaîner rapidement les sauts hasardeux et prier pour que vos ennemis et alliés ne se bloquent pas dans un mur ou en arrière-plan. Si c'est le cas et que vous avez eu le malheur de croiser un checkpoint entre-temps, vous serez coincés avec comme seule possibilité de recommencer entièrement le niveau. Une mésaventure qui m'est arrivée à de nombreuses reprises.

Les niveaux d'Oddworld : Soulstorm regorgent d'idées, de trouvailles visuelles et de puzzles innovants. On sent que les développeurs du studio Oddworld Inhabitants ont voulu sans cesse surprendre le joueur en le confrontant sans cesse à de nouvelles situations. Toutefois, il est vraiment compliqué d'apprécier ses efforts dans ces conditions de gameplay et compte tenu des trop nombreux bugs.

Oddworld : Soulstorm - Abe train

Oddworld : Soulstorm, un brassage indigeste

Heureusement que le monde d'Oddworld est séduisant et que l'humour du jeu n'a pas complètement disparu. Cela ne suffit tout de même pas à sauver un jeu devenu à la fois bien trop éloigné de son œuvre d'origine et terriblement imprécis dans sa nouvelle forme. Aucune nouveauté de langage n'a été crée et aucune créature à envoûter n'a été ajouté. Une vraie déception quand on voit toutes les nouvelles mécaniques de gampeplay implémentées dans cet opus

À vouloir devenir plus spectaculaire et plus "moderne", Oddworld : Soulstorm s'emmêle les pinceaux et fait chou blanc. Les nostalgiques de la saga seront déçus par les choix de game design tandis que les nouveaux venus rageront devant les éreintantes approximations du titre.

Quand tout fonctionne, Oddworld : Soulstorm offre quelques passages véritablement plaisants et épiques dans des environnements majestueux mais ces instants sont trop rares pour faire oublier ce qui ressemble quand même à un vaste gâchis. Il est de notoriété publique que le développement de Soulstorm a trainé en longueur et le jeu devait initialement sortir en... 2017. Les reports se sont succédé, plusieurs studios ont travaillé sur différentes parties du titre et la direction créative du jeu a beaucoup évolué au fil du temps. Le jeu semble aujourd'hui porter les stigmates de cette douloureuse gestation.

Les deux premiers Oddworld étaient des jeux à part, de par leur univers, leur gameplay et leur singularité. À l'époque, Abe était un antihéros inoffensif en 2,5D alors que Final Fantasy VII et Metal Gear Solid faisaient la pluie et le beau temps. Quand j'ai eu le plaisir et l'honneur d'échanger l'année dernière avec Thierry Boulanger, directeur du studio Sabotage dont une partie de l'équipe a travaillé sur Soulstorm, le développeur l'admettait lui-même : "Lorne Lanning, [créateur de la saga et directeur du studio Oddworld] c’est presque le premier de tous les indies".

Oddworld était une saga différente qui n'essayait pas de copier la concurrence et creusait son propre sillon. Aujourd'hui, le mudokon est rentré dans le rang et paraît encore plus mutique que sa légendaire bouche cousue ne le laisse supposer.