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Arte - Interview: Gilles Freissinier, Vandals et Homo Machina

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Les médias généralistes s'ouvrent de plus en plus aux jeux vidéo. C'est notamment le cas avec Arte qui a récemment annoncé la sortie de deux jeux vidéo en tant que coproducteur : Vandals, créé par Cosmografik, et Homo Machina, développé par Darjeeling Prod. C'est à cette occasion que nous avons pu interviewer Gilles Freissinier, directeur du développement numérique d'Arte France, pour en apprendre plus sur ces créations et sur l'implication du média dans le domaine vidéo-ludique.

  • Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs, et expliquer vos fonctions ?

Je suis Gilles Freissinier , directeur du développement numérique d’Arte France. Au sein de l’équipe de développement numérique, nous accompagnons les programmes de l’antenne d’Arte sur les plateformes numériques (réseaux sociaux, site et application Arte, plateformes vidéo…). En parallèle, nous développons également des programmes spécifiquement conçus pour le numérique qui peuvent être très variés en termes de formes : vidéo, réalité virtuelle, applications mobiles, programmes pour les réseaux sociaux, séries documentaires, fiction… Et ça peut aussi être du jeu vidéo.

  • Pourquoi Arte s’intéresse-t-il en particulier au jeu vidéo ?

Arte produit des programmes numériques depuis 2006, et dans ces programmes, on essaie de proposer du contenu cohérent avec les différents codes et grammaires du numérique. Parmi ces grammaires, on retrouve l’interactif, le participatif, la réalité virtuelle comme énoncé précédemment… Et il y a également le jeu vidéo, qui fait partie des champs que l’on observe, que l’on teste pour voir si on peut proposer de la matière narrative sur ce type de support.

Depuis plusieurs années, les écritures audiovisuelles se sont un peu mélangées : on a créé des documentaires interactifs où on peut retrouver l’internaute à la première personne, et où il va devoir avancer sous forme ludique dans l’histoire. La réalité virtuelle aussi, est un mélange entre l’audiovisuel et l’interactif du jeu vidéo. Donc très naturellement, on est arrivés à s’intéresser aux jeux vidéo, avec un premier titre du nom de Type : Rider sorti en 2013.

  • Récemment, vous avez annoncé deux nouveaux jeux coproduits par Arte. Le tout premier, sorti le 12 avril, est Vandals, un jeu réalisé par Cosmografik. Pouvez-vous nous le présenter en détail ?

Vous parlez de Cosmografik à juste titre. Ce qui nous intéresse dans le jeu vidéo, au même titre que la coproduction d’un documentaire ou d’une fiction, c’est le regard d’un auteur, l’univers narratif fort, et celui de Cosmografik, qui avait déjà imaginé Type : Riders, est particulièrement intéressant.

Vandals est un jeu d’infiltration dans l’univers du street art. Il reflète bien ce que l’on souhaite faire sur le jeu vidéo puisqu’on est à la fois dans un univers très culturel : le street art que l’on peut retrouver dans la rue, sur les immeubles, en toute légalité ou non ; et un univers narratif intéressant montrant un regard original sur ce sujet.

Quand Théo, alias Cosmografik, nous a présenté ce jeu, on s’est dit qu’il était totalement adapté à notre univers, dans l’objectif de proposer de vraies créations. Ici, il n’est pas question de serious game ou de la reprise de ce qui existe déjà, mais de création avec un vrai univers narratif.

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  • Le second jeu que vous avez annoncé est Homo Machina, un jeu de puzzle qui sortira courant mai. Pouvez-vous nous expliquer plus en détail le concept du jeu ainsi que la raison de sa sélection ?

Ce qui est intéressant dans ce jeu, c’est l’aspect historique, car il est inspiré de l’œuvre du scientifique Fritz Kahn, le précurseur de l’infographie. Cela permet de remettre au goût du jour cette création qui reflète une vision de la science dans le monde industriel des années 1930. Dans ce jeu, l’homme est comparé à une usine avec ses contre-maîtres, ses ouvriers, ses chaînes de production… Cet aspect culturel nous intéressait beaucoup. Le visuel et la proposition graphiques sont eux aussi très forts et intéressants, et nous ont amené à nous intéresser au jeu.

L’équipe de développement était de très bonne qualité et nous avons travaillé en confiance avec elle. La collaboration Franco-Allemande d’Arte s’est aussi prolongée, en plus du choix de l’artiste Fritz Khan, dans les modalités de production. Ce projet est une coproduction entre un producteur français du nom de Darjeeling Prod, et Feierabend!, un producteur allemand. Il a également reçu le soutien du CNC français, ainsi que de son équivalent à Berlin, le Medienboard Berlin. Donc dans la mécanique même du projet, il y a une logique Franco-Allemande et Européenne qui est totalement cohérente avec la mission d’Arte.

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  • Comment choisissez-vous les différents projets sur lesquels vous allez travailler ?

Nous avons un comité éditorial qui analyse les différentes propositions. Nous recevons une trentaine de projets par mois, toutes formes confondues (documentaire, jeu vidéo, etc…). On essaie de comprendre l’idée de l’auteur et du producteur et de voir si elle se transcrit de façon cohérente sous une forme adaptée au numérique, cela peut être le jeu vidéo. Parfois c’est le cas, d’autres fois ce n’est pas nécessaire. Quand on sent que l’œuvre, la forme et la narration sont cohérentes et que le contenu peut former un jeu vidéo, on le sélectionne. Les projets doivent aussi être en phase avec la ligne éditoriale d’Arte, qui est de promouvoir la culture, notamment dans le but de rapprocher les peuples européens. Après sélection, le projet passe entre différentes étapes de validation en interne puis est lancé en production.

  • Comment Arte accompagne les créateurs dans la production ?

On essaie de considérer les jeux comme tous les programmes, donc des productions avec des phases de création, de développement, de production… Evidemment, le monde du jeu vidéo est un peu spécifique car le prototype arrive plus vite, contrairement à un documentaire où il n’y a pas de prototype. En termes de production, c’est un peu différent même si nous avons l’habitude de travailler sur ce type de sujet dans l’univers numérique.

Ensuite, sur l’accompagnement, nous essayons de travailler sur des projets que l’on considère comme des programmes. Dans l’équipe des productions numériques, il y a donc des chargés de programme qui vont accompagner les producteurs et les développeurs dans le développement des différents projets. Ces derniers ne sont pas produits par Arte, mais sont apportés par des producteurs indépendants. Nous les suivons pour nous assurer qu’ils correspondent à notre ligne éditoriale, que le projet soit en phase avec l’idée de départ… C’est important d’avoir ça en tête car la mission et la vocation d’Arte sont de soutenir la production indépendante à l’antenne et sur le numérique.

Si on fait un parallèle avec le monde du cinéma ou de l’audio-visuel, on voit bien que dans le jeu vidéo, il y a une logique à avoir deux univers : d’un côté l’univers du blockbuster avec quelques éditeurs internationaux, et de l’autre côté une myriade de petits développeurs indépendants qui ont parfois du mal à faire émerger leur projet même s’ils sont très créatifs, parce qu’ils manquent de ressources pour les développer et trouver une façon de les distribuer. C’est là qu’Arte essaie d’être présent, de la même façon qu’à l’antenne on va travailler avec des producteurs indépendants qui mettent en œuvre des productions originales allemandes ou françaises, on va travailler en parallèle sur le jeu vidéo, pour mettre en avant et soutenir ces créateurs indépendants, français, européens… Notamment en coopération avec le CNC qui a pour mission de promouvoir la diversité de création.

  • Vous avez souligné plusieurs fois l’importance d’un univers créatif et artistique fort. Pensez-vous que le jeu vidéo a sa place en tant qu’art ?

On dit parfois que le jeu vidéo est le 10e art, je pense qu’on peut tout à fait reprendre cette dénomination. Certains jeux sont exposés dans des musées, ou des expositions sont créées sur le sujet. Je pense qu’il peut y avoir une partie artistique ainsi qu’un point de vue artistique de la part des créateurs de certains jeux. On peut donc parler d’art en parlant jeu vidéo.

  • La co-production de jeux vidéo n’est pas le seul contenu qu’Arte produit en rapport avec le domaine vidéo-ludique. En effet, vous proposez aussi des émissions comme Art of Gaming présentée par la streameuse Trinity, ou encore History’s Creed présentée par le YouTuber NotaBene. Pourquoi avoir choisi de travailler en collaboration avec ces vidéastes ? Est-il important de travailler avec cette nouvelle génération de producteurs de contenu ?

L’idée est de toujours partir à la recherche de talents – plus ou moins nouveaux car vous connaissez sûrement Trinity et Nota Bene depuis plus longtemps que moi, de chercher la créativité dans les moindres recoins. Et dans le jeu vidéo, cette créativité se retrouve sur YouTube, Twitch… et travailler avec des experts de ces thématiques, comme travailler avec des experts de tel ou tel sujet pour un documentaire, est important. Ils apportent avec eux une innovation et une originalité dans la création, et pas uniquement dans les sujets. Leur façon d’écrire, d’en parler est intéressante. Ici, l’enjeu est à la foi de travailler avec des experts et d’être accessibles pour un public large car on reste un média généraliste. Il faut donc en parler de façon accessible et non trop obscure ou cryptique.

C’est pour ça que nous proposons plusieurs formats, dont le magazine BiTS qui travaille sur ces sujets de culture pop et qui existe depuis 5 ans – bientôt 6 – et qui a pour mission de s’intéresser à cette nouvelle culture pour la rendre accessible à des personnes qui ne baignent pas forcément dedans. La suite logique est d’aller travailler avec ces streamers ou YouTubers pour renouveler nos formes d’écritures et aller sur des plateformes telles que YouTube ou Twitch (où Arte n’est pas encore présent) pour aller parler à un nouveau public.

Pour compléter sur Twitch, nous travaillons sur un documentaire (qui est encore en phase de production) avec des streamers en coproduction avec l’ONF (l’Office Nationale du Film au Canada) autour de leur univers sur Twitch qui est encore en phase de production. Il y a eu toute une période de tournage sur la plateforme où différents streamers venaient parler de leur expérience et de leur vécu en tant que membre de cette communauté. A partir de cette matière, nous produisons donc une série documentaire sur l’univers des streamers.

  • Avez-vous d’autres projets prévus en rapport avec le jeu vidéo ?

Côté jeu vidéo, nous avons une année assez riche. La semaine dernière est sorti Vandals et en mai sortira Homo Machina. Nous avons aussi sorti Enterre-moi, mon amour le 26 octobre 2017. Ce dernier est un jeu vraiment intéressant, qui nous permet de décrypter le monde qui nous entoure à partir d’une forme originale et innovante. Il existe de nombreux documentaires sur le sujet des migrants, mais rendre cette thématique accessible grâce à une fiction interactive permet de sensibiliser un public plus large qui ne regarderait pas forcément un documentaire diffusé à la télévision.

D’autres jeux arriveront aussi entre la rentrée de septembre et la fin de l’année, ils sont encore en préparation. Nous en parlerons plus en détail lorsque la date approchera. Donc ce qu’il faut retenir pour le moment est la sortie de Vandals et d’Homo Machina, des jeux sur deux points de vue différents sur le monde qui nous entoure.

Nous remercions Arte, et plus particulièrement M. Gilles Freissinier pour le temps accordé afin de répondre à ces quelques questions ! Retrouvez, sur les liens suivant, la chaîne YouTube d'Arte, le site officiel de Vandals, ainsi que le site officiel d'Homo Machina pour télécharger les jeux !