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Heavy Rain - Pourquoi le jeu a révolutionné la fiction interactive ?

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Heavy Rain est sorti en 2010 sur PS3, il a été développé par le studio français Quantic Dream et a reçu le BAFTA Games Award de la meilleure innovation technique comme récompense. Le jeu a en effet ouvert la voie en matière d'histoire interactive et de choix multiples. S'il est depuis ressorti sur PS4 et PC et a pris quelques rides, Heavy Rain vaut encore le détour.

Attention cet article est rempli de spoilers.

Heavy Rain : une histoire qui joue avec nos nerfs

L’histoire se déroule dans une ville des Etats-Unis où sévit un tueur en série. Ses victimes sont de jeunes garçons âgés de 8 à 13 ans qu’il kidnappe et enferme dans un égout en attendant que la pluie qui ne cesse de tomber dans cette région ne finisse par les noyer. Vous incarnez quatre personnages qui, dans une course contre la montre frénétique, vont tout faire pour sauver Shaun, la dernière victime du tueur aux origamis, surnommé comme cela car il laisse toujours un origami dans la main de ses martyrs. Vous avez cinq jours pour cela.

Pour cela, vous prenez la place d’Ethan Mars, le papa de Shaun, de Madison Paige, journaliste qui croise par hasard la route d’Ethan et lui vient en aide, de Scott Shelby, un détective privé recruté par les parents des précédentes victimes et Norman Jayden, profiler au sein de FBI. Chacun se lance à la poursuite du tueur aux origamis et découvre de nouvelles pièces du puzzle. Charge à vous de décider de la suite du jeu en faisant des choix pour chaque personnage qui modifieront l’histoire.

HEAVY RAIN

Thriller oppressant dans lequel tous vos choix ont un impact sur la survie ou non du petit Shaun. La question essentielle de Heavy Rain est « jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour sauver un être cher ? » Et la question n’est pas rhétorique. Le tueur force le père mais aussi les autres personnages à décider de mettre sa propre vie en danger pour secourir un enfant innocent. Les jeux vidéo aiment particulièrement mettre leur joueur fasse à des choix forts, mais j’avoue que c’est la première fois que les actes m’ont autant posé problème (ce qui me fait dire que le jeu est très bien réussi). Il y a toujours cette petite voix dans ma tête qui me dit : « tu peux y aller ce n’est qu’un jeu », mais là ma petite voix me disait : « je ne joue pas pour me faire malmener ».

Cette tension omniprésente, cette pression qui pèse sur vos épaules, la survie de Shaun, était palpable. La scène la plus dérangeante pour moi n’a bizarrement pas été celle du couteau et du doigt (je n’en dirais pas plus) mais bien celle dans le labyrinthe électrifié. A chaque mauvaise manipulation de la manette, vous vous prenez un coup de jus. Quelle frustration pour moi que mon personnage ait abandonné car il s’était trop souvent électrocuté (Heavy Rain ne m’a pas laissé le choix et j’avoue apprécier que le jeu me force la main. Car personnellement, j’aurai continué à essayer de passer ce champ de fils électriques encore et encore, mais mon personnage en a décidé autrement ^^). J’ai particulièrement aimé le fait que le jeu joue avec vos intuitions, il vous pousse à penser qu’Ethan a un lien avec le tueur, il sème le doute en vous et j’avoue m’être fait avoir.

HEAVY RAIN

Un gameplay novateur pour l'époque

L’interface repose sur le système Motion Physical Action Reaction développé par le studio lors de leur précédent jeu Fahrenheit, dans lequel le joueur doit appuyer sur les touches au bon moment en fonction de l’action se déroulant sur l’écran au risque de rater sa manœuvre si elle arrive trop tard. Ce système a été développé pour créer une meilleure immersion dans Heavy Rain. Une autre particularité de l’époque est que les dialogues sont intégrés aux scènes, le joueur se voit offrir plusieurs possibilités qui sont modifiées en fonction de son état psychologique. Elles peuvent être difficiles à saisir si le joueur est stressé car les mots à l’image d’un nuage de mots clef se baladent au-dessus de votre tête et vous n’avez qu’un temps limité pour faire votre choix sans connaître l’impact qu’il aura sur la suite.

Le fait que vous êtes celui qui écrit l’histoire est aussi un des éléments novateurs de ce jeu pour l’époque. Il s’agit d’un récit interactif. Tous vos actes comptent, ils influent la suite de l’histoire, le caractère de votre personnage, et les dénouements possibles, c’est en tout une vingtaine de fins qui ont été écrites pour Heavy Rain. Votre personnage principal Ethan peut mourir sans que le jeu ne s’arrête pour autant. Il peut finir en prison ou non, il parvient ou non à sauver son fils, les autres personnages peuvent eux aussi mourir…

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Les mécaniques notamment lors des combats ou courses-poursuites sont particulièrement difficiles, mêlant les combinaisons qu’il faut maîtriser pour réussir une action. Peu importe votre détermination, vous pouvez tout de même échouer et votre personnage peut vous laisser tomber comme je l’expliquais plus haut avec le passage dans les fils électriques. C’est plutôt frustrant car nous ne sommes pas habitués à ce que notre perso décide par lui-même, nous avons l’habitude d’être semblables à des dieux en tant que joueur sur la vie ou la mort de notre héros. J’ai trouvé cela frustrant oui, mais grisant aussi.

Enfin, le profiler du FBI propose une façon d’enquêter que j’ai particulièrement aimé. A l’aide de lunettes et d’un gant, il peut interagir sur son environnement et a accès à tout le dossier de n’importe où. Cette fonctionnalité digne des films de science-fiction ajoute, non seulement une pression au joueur qui se dit qu’il dispose de techniques innovantes qui devrait lui permettre de trouver le tueur, mais aussi de la fraîcheur et de la surprise bienvenue pour un jeu sinon tout à fait réaliste.

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Quelques écueils tout de même

Je n’oublie pas que le jeu date de 2010, cependant je ne peux que déplorer le fait que les personnages principaux soient des hommes : Madison Paige, la journaliste, n’apporte rien à l’histoire. Je me suis interrogée durant tout le jeu sur la raison de sa présence, qui d’une n’est pas très crédible (elle croise la route d’Ethan au motel car elle souffre d’insomnie et va donc dormir au motel, et lui vient en aide alors qu’elle ne le connaît pas) et de deux n’apporte rien de plus à l’histoire.

De plus, je veux bien entendre que pour certaines scènes, il ait fallu sexualiser à outrance les personnages féminins, mais cela me fatigue que la seule manière dont une femme puisse faire avancer l’histoire soit en utilisant sa féminité, son corps et non son intelligence, son observation ou sa gouaille. Pour exemple Lauren Winter, mère d’une précédente victime du tueur aux origamis fait équipe avec Scott Shelby. L’enquête les emmène chez un riche héritier et le seul moyen de passer les gardes du corps est que Lauren se mette à danser devant eux pour les déconcentrer. Et la scène se répète avec Madison qui souhaite entrer en contact avec un des suspects. Celui-ci travaille dans une boite de nuit et le seul moyen qu’elle trouve pour lui parler est en déchirant sa jupe pour en faire une mini-jupe, en ouvrant son corsage et en se maquillant à fond pour qu’il la remarque.

HeavyRain

Pour l’époque, il y a un élément de gameplay qui m’a particulièrement dérangée, mais c’est très certainement parce que j’y ai joué il y a peu, et que désormais nous sommes habitués à des gameplays très fluides. Il s’agit du jeu de caméra qui est régulièrement inversé. En effet, nous sommes obligés de regarder le personnage avancer vers nous, la caméra n’est pas toujours positionnée derrière le héros mais elle le regarde et nous devons donc faire fonctionner les boutons à l’envers, ce qui est très énervant.

Le dernier point qui m’a quelque peu déçu est celui sur la révélation du tueur. Il s’agit en effet de Scott Shelby, le détective privé qui se sert de son métier pour effacer les traces de ces méfaits. Cependant, certaines scènes ne m’ont pas paru crédibles, notamment celle où il tue son ami l’horloger (scène que nous découvrons lors d’un flash-back), alors que nous avons assisté à cette scène en jouant Scott et qu’à aucun moment, nous n’avons pu soupçonner que le personnage ait accompli ce crime puisque nous sommes restés avec lui.

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Pour conclure

Quantic Dream a fait du récit interactif sa marque de fabrique et c’est ce qui a fait son succès. Heavy Rain est à replacer dans son époque, il est superbement réalisé graphiquement, les mécaniques sont intéressantes, frustrantes (à bon escient), et jouent avec vos nerfs. Il est dérangeant, ce qui sert parfaitement le propos du jeu qui se veut un thriller horrifique et dramatique. C’est la première fois que je me suis sentie si malmenée par un jeu, grâce aux mécaniques extrêmement difficiles, à l’ambiance sombre et aux choix qui m’étaient imposés. C’est un jeu qui a ouvert la voie à la fiction interactive pour notre plus grand bonheur. Car les joueurs souhaitent être confrontés à des décisions, ressentir des émotions. Pour toutes ces raisons, Heavy Rain a rempli son rôle.