The Wolf Among Us - Qui a peur du grand méchant loup ?
Publié entre 2002 et 2015, sous le label Vertigo de l’éditeur Urban Comics, l’univers de Fables a été créé par le scénariste Bill Willingham. Les comics ont été récompensés de nombreuses fois par les prix Eisner. Fort de ce succès, plusieurs spin-offs ont vu le jour ainsi qu’une préquelle au format jeu vidéo : The Wolf Among Us développé par Telltale Games.
The Wolf Among Us : lorsque conte de fée ne rime plus avec happy end
Les personnages des contes de fées, des fables et du folklore, notamment anglo-saxon, ont été obligés de fuir leur pays lorsque l'Adversaire a pris le pouvoir de leur monde mettant ainsi en place un régime de terreur. Ils ont réussi à lui échapper en se réfugiant à New York. Dans la métropole, ils ont créé une communauté appelée Fableville, où chaque personnage tente de survivre comme il peut. Ce jeu d’aventure inspiré des comics Fables est sorti entre 2013 et 2014 en une série de cinq épisodes.
Vous incarnez BigBy (autrement dit le Grand méchant loup) qui est le shérif de Fableville. En tant que tel, il veille à la sécurité des habitants et à maintenir l’ordre au sein de la communauté. C’est pourquoi tous ceux qui ne peuvent se fournir en charme, ce qui sert à prendre apparence humaine, doivent s’installer à la « ferme », endroit vécu comme un ghetto de la part des fables qui refusent de s’y rendre et en parlent même avec peur. Bigby veille au quotidien à ce que les « communs » ne découvrent rien des origines des fables. Cependant, la tranquillité de Fableville est mise à mal avec l’assassinat de Faith, mieux connue sous le nom de Peau d’âne. Bigby va rapidement découvrir qu’un mystérieux sortilège empêche certaines personnes de parler, mais aussi que toute une organisation souterraine a vu le jour pour combler les manquements de l’administration de Fableville.
Le parallèle avec notre société qui questionne de façon très juste
Rappelons le rôle, dans nos sociétés, des contes qui existent au sein de toutes les communautés. Selon Wikipédia : « [un conte] vise à distraire ou à édifier, il porte en lui une force émotionnelle ou philosophique puissante ». Les contes, traditionnellement, servaient en effet à divertir, mais aussi et surtout à faire réfléchir, à enseigner sur la nature profonde des Hommes. Le petit Chaperon rouge, par exemple, aborde selon les professionnels le passage à l’âge adulte, sa complexité, et ses risques notamment représentés par le Grand méchant loup :
Le thème central de ce conte, selon Bettelheim (psychanalyse des contes de fées), est la peur de la petite fille d’être dévorée. Dans la maison de ses parents, elle est protégée alors que dans la maison de sa grand-mère, elle se trouve angoissée des conséquences de sa rencontre avec le loup. Le problème qu’elle doit résoudre, ce sont les liens œdipiens qui peuvent l’amener à s’exposer aux tentatives d’un dangereux séducteur (le loup).
Blanche-Neige quant à elle, représente les dangers du narcissisme (marâtre) et les luttes au sein d'une fratrie (les septs nains) :
Toujours selon Bettelheim (1976) d'après la revue Cairn, le conte de Blanche Neige traite les conflits œdipiens entre la mère et la fille, pendant l’enfance et l’adolescence et prévient les effets désastreux du narcissisme. L’attitude de la belle-mère devant son miroir rappelle le thème de Narcisse. Elle est jalouse de la beauté de Blanche Neige.
Dans the Wolf Among Us, la métaphore est forte avec notre société, les fables ont fui leur royaume, n’emportant que ce qu’ils pouvaient de leur monde. Certains, à l’image de la Belle et la Bête n’ont plus un sou et survivent de multiples boulots mal payés. Ils se retrouvent bien vite criblés de dettes, à ne plus pouvoir payer leurs factures qui s’amoncellent. L’administration représentée par Blanche-Neige ne peut bien souvent pas grand-chose pour eux et peut même se montrer bien inflexible avec des personnages qui ont tout perdu. Il n’est pas étonnant qu’un trafic se soit mis en place et que chacun tente de survivre.
Je pense que les meilleures œuvres sont celles qui nous font réfléchir sur nos propres actes, notre quotidien, nos actions, celles qui nous font douter, celles qui ne sont pas tout blanc ou tout noir. J'aime que les personnages démontrent des faiblesses, des doutes, même les plus grands héros (oui je suis une grande fan de Game of thrones, et je préfère Merry et Pippin dans le Seigneur des anneaux à Richard Cypher de l'Epée de vérité qui me fait penser à une pub pour un dentifrice). Ici, la lutte des classes est omniprésente, le développement d’un marché noir s’excuse et se conçoit. Le méchant parvient à nous mettre le doute car ses motivations se comprennent et deviennent acceptables. On en arrive à s’interroger sur les actes répréhensibles faits par Bigby sous couvert de justice. Peut-on tout excuser ?
Jeu vidéo ou série interactive ?
Le parti pris concernant le game design est très fort et impacte l’expérience de jeu. Je n’ai pas eu l’impression de jouer à un jeu mais plutôt de me balader dans une histoire, une série animée durant laquelle je devais faire des choix à certains moments, à l’image de l'épisode Bandersnatch de Black Mirror, la série désormais célèbre de Netflix. Dans The Wolf Among Us, mes choix influaient sur la suite de l’histoire et m’amenaient à chaque fois à me demander s’ils étaient les bons, s’ils étaient justes. Beaucoup de jeux vidéo tentent cette immersion dans ce que l’on appelle les scénarios interactifs mais peu jusqu’à présent m’avaient fait ressentir ce poids des décisions que j’allais prendre sur la suite de l’histoire. Est-ce parce que Bigby démontre une force hors du commun qui peut vous brûler les doigts, parce que les fables placent de grands espoirs en lui en tant que shérif, ou encore parce que mon enfance a été bercée par les contes et qu’automatiquement je me sens plus proche de ce qui leur arrive ? Sûrement un peu de tout cela.
Le personnage de Bigby, sous ses dehors bourrus (j'aime les personnages bourrus, j'y peux rien) est attachant. Libre à nous de décider de montrer de l’humanité envers nos semblables ou de prendre du recul et nous comporter comme un insensible face à la série de meurtres qui se déroule dans Fableville, mais je gage que peu y parviendront. Je m’appuie pour cela sur les statistiques qui sont proposées à chaque fin d’épisode et qui donnent les choix faits par les autres joueurs en pourcentage. The Wolf Among Us tente de nous pousser dans nos retranchements, Blanche-Neige se montre intraitable (vous comprenez pourquoi avec le premier tome de la série), et nous sommes souvent divisés entre la nécessité d'obéir aux ordres, de suivre les règles ou d'aider un ami dans le besoin en mentant à Blanche-Neige (pour qui, avouons-le, on a un crush).
Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants...
On peut dire que c'est le cas, la série comics compte pas moins de 25 tomes (intégral), de quoi faire plaisir aux fans hardcore. Vous retrouverez les différents personnages, vous plairez à découvrir qui ils sont (ce qui n'est pas toujours évident) et ce qui leur arrive.
Il y a de nombreuses situations cocasses, telles que le prince charmant de différents contes qui est en fait toujours le même prince dans Fables, ce qui lui attire pas mal de souci. Beaucoup de parallèles et questionnements de notre société comme l'émeute qui éclate dans la "ferme", ou encore la prise en charge par notre société des plus démunis. Sans oublier la part de merveilleux sans quoi le conte de fée n'existerait pas lorsque Bigby doit prouver auprès d'un journaliste un peu trop curieux que : non, sa communauté qui ne vieillit pas n'est pas une communauté de vampires !
Rappelons qu’une suite était prévue avant que Telltale ne ferme en 2018. Heureusement pour nous, le studio a de nouveau vu le jour en août 2019 et a expliqué vouloir relancer la franchise mais sur des nouvelles bases via Unreal Engine. The Wolf Among Us 2 a officiellement été annoncé lors des Game Awards 2019 pour une sortie en 2020. Pour les plus impatients, je vous propose de découvrir le trailer. Et sinon, n'hésitez pas à lire les comics si vous voulez en apprendre plus sur Fableville.