Twitch face au DMCA : quelles conséquences pour les streameurs ?
Le 8 juin dernier les streameurs et leurs communautés sur Twitch ont découvert un message bien amer de la part de leur plateforme favorite. En effet après avoir reçu des plaintes DMCA de plusieurs labels musicaux Américains, Twitch, filiale d'Amazon a réagi en sanctionnant les chaines concernées. Un youtube gate N°2 serait-il en train de se produire ? La liberté sur internet est-elle une nouvelle fois en péril ? Pourquoi le toast de confiture retombe-t-il toujours du côté tartiné ? Nous allons tenter de répondre à certaines de ces questions.
Le DMCA, une loi américaine qui relance le débat
Quelle que soit l'oeuvre crée, le droit d'auteur est très important, garantir son application c'est garantir le respect des auteurs et le fruit de leur travail. Chaque individu se doit de veiller à ne pas utiliser le travail d'autrui sans autorisation, et cela vaut aussi pour les grandes entreprises et réseaux de diffusions. Les évolutions du Web ont rendu plus compliqué l'application des règles de protection de la propriété intellectuelle, c'est pourquoi, aux Etats-Unis est née DMCA pour Digital Millennium Copyright Act. C'est une loi parue en 1998 qui vise à protéger le droit d'auteur à l'ère du numérique. Son application oblige les sites, et dans ce cas précis, ceux de partage de contenu, à proposer un formulaire disponible pour les ayants-droit permettant de signaler toute violation du droit d'auteur sur un contenu leur appartenant. C'est le cas depuis quelques années sur Twitch et Youtube, pour ne citer que ces deux plateformes.
Lorsqu'un ayant-droit en fait la demande, si elle est légitime, le site a l'obligation, invoquant la DMCA, de faire retirer le contenu en question pour éviter des sanctions juridiques. L'utilisateur qui a mis en ligne du contenu signalé qui ne respecterait pas le droit d'auteur, peut encourir des avertissements, qui pourraient aboutir à un ban et une fermeture définitive de son compte. L'application de cette loi est valable partout dans le monde et des équivalents existent ailleurs également, comme l'EUCD (European Union copyright Directive) en Europe, ou encore HADOPI plus récemment en France, alias la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet.
La communauté Twitch en panique !
Le 8 Juin 2020 donc, Twitch a reçu de nombreux signalements générés - d'après l'Express - par la Recording Industry Association of America (RIAA), une très importante association composée de détenteurs de labels et de grandes maisons de disques. Invoquant le DMCA, cette organisation a dénoncé, non pas des diffusions en direct ou des rediffusions, mais des clips utilisant partiellement de la musique sous copyright, signalant parfois des contenus ayant plusieurs années d'ancienneté.
Face aux demandes massives, Twitch a été contraint de réagir et de communiquer sur ce problème, notamment sur Twitter :
"Cette semaine, nous avons eu énormément de demandes de suppression de contenu invoquant la DMCA, pour des clips des années 2017-19. Si vous n'êtes pas sûrs à propos des droits audio sur vos précédents streams, nous vous invitons à supprimer ces clips. Vous êtes nombreux à avoir une grande collection et nous travaillons pour rendre ça plus simple.
C'est la première fois que nous avons reçu autant de demandes contre les clips. Nous comprenons que la situation est stressante pour les créateurs concernés et nous travaillons sur des solutions, notamment sur comment vous pourriez avoir plus de contrôle sur vos clips.", @TwitchSupport
Ce qui a vivement fait réagir les créateurs concernés, c'est d'abord l'absence de délai de prévenance, certains streamers se sont plaints d'avoir reçu des menaces de sanctions, avant même d'avoir pris connaissance du litige. Ajoutons à cela que de nombreux diffuseurs disposent d'une collection de clips assez importante, rendant très compliquée l'action de régulariser les extraits litigieux en les supprimant. C'est ce que témoigne la streameuse Fuslie, citée dans un article du site The Verge, via son compte Twitter, qui a reçu plusieurs avertissements :
"J'ai reçu 2 strikes sur ma chaîne (les deux provenant de clips âgés de plus d'un an) la semaine dernière. Une de plus et mon compte sera banni.
J'en ai parlé avec l'équipe de Twitch, la meilleure option selon eux serait de supprimer tous mes clips. En plus de l'impossibilité pour moi d'effacer plus de 100.000 clips, le dashboard ne montre aucun de mes vieux clips. Comment suis-je supposée me protéger ?", @fuslie
Rappelons que les Clips Twitch sont des extraits de 60 secondes maximum créés par les spectateurs d'une chaîne pour en souligner les moments les plus drôles ou insolites. Le fait est que les rediffusions sont globalement protégées sur le risque de violation de droits d'auteurs. Twitch met en place un dispositif permettant de rendre muets les passages présentant des musiques labellisées, malheureusement, cet outil n'est pas actif sur les clips créés par la communauté.
Twitch a d'ailleurs communiqué sur le fait que c'était la première fois que leurs services recevaient des signalement sur des clips. La RIAA a donc déposé des réclamations par charrettes sur de malheureux extraits de parfois quelques secondes. C'est certes leur droit mais pour en arriver là, cela témoigne d'un certain niveau d'avarice. Il faut également rappeler que si certains abus existent probablement, la plupart des propriétaires de chaines Twitch ne le font pas pensant porter atteinte aux artistes, bien au contraire. Le cœur d'activité de ces derniers, dont votre serviteur fait activement partie, est de mettre en avant et d'animer le contenu d'autres créateurs, essentiellement de jeu vidéo mais aussi de toute autre activité qu'ils apprécient. L'objectif d'une chaîne de streaming est de partager les jeux qui nous passionnent. Jusqu'à preuve du contraire, les jeux vidéo sont également des œuvres soumises et protégées par le droit d'auteur. Pourtant, les éditeurs de jeux ont-ils émis des plaintes auprès de la plate-forme Twitch ? Non. Pourquoi à chaque fois qu'une crise juridique sur le droit d'auteur en ligne apparaît, ce sont les lobby musicaux qui en sont initiateurs ? L'industrie du jeu vidéo, bien qu'étant soumise au droit d'auteur est beaucoup moins dans la répression autour de l'usage de leur contenu intellectuel.
La diffusion de contenu vidéoludique est largement toléré par l'industrie qui la façonne, tandis que la diffusion musicale ne l'est pas, de toute évidence. Loin de nous l'idée de victimiser le jeu vidéo, mais soulignons tout de même qu'à valeur égale aux yeux du droit, tout le monde ne l'exerce pas de la même manière. N'est-il pas temps de remettre en question l'exercice du modèle de protection du copyright ou de remettre en question le poids et la toxicité du lobby musical ?
Sur le principe, le JV devrait être autant protégé que toute autre création, force est de constater que ce n'est pas le cas. Et cette situation permet de poser le débat dans une dimension bien plus large. Comment reprocher à des chaînes de violer le droit d'auteur, si l'ADN même de Twitch repose sur le principe de présenter le contenu des autres ? Ce qui fait réagir certaines personnes, c'est bien cette hypocrisie là. C'est à Twitch de trouver des solutions pour que leur activité se poursuive, pas aux créateurs de s'adapter ou de disparaître !
Évoluer ou disparaître
Les grandes plateformes web doivent évoluer sur le sujet, mais ne le font pas encore en amont. Elle s'adaptent et réagissent dès lors qu'on leur impose des sanctions, mais elles n'anticipent pas les contraintes légales, comme elles le devraient. Elles sanctionnent à leur tour leurs participants au lieu de proposer des alternatives légales et valorisantes pour tout le monde. La politique de l'autruche n'est pas digne de ces plateformes qui en leur temps ont su être avant-gardistes pour avoir l'impact qu'ils ont sur le web d'aujourd'hui. Toutes les choses doivent évoluer, sinon elles se heurtent à leur environnement, et meurent. C'est encore plus vrai pour les entreprises, y compris pour celles de cette envergure. La critique est certes facile, peut-être que des discussions avec les représentants d'ayant droits sont en cours à la direction de Twitch. Nous restons, en effet, convaincus que cette nécessité d'évolution, la filiale d'Amazon l'a surement déjà compris.
Des alternatives pour légaliser les pratiques "fair use" ?
Quelles alternatives ? On peut imaginer des outils de contrôle et de censure à disposition des streamers, des accords négociés avec les majors, une redevance que verserait le site aux associations de protection de la propriété intellectuelle, etc... Ce dernier cas de figure existe, y compris en France et en Europe. Les réseaux de diffusion audiovisuels (radios, TV, etc...) fonctionnent principalement sur ce modèle et peuvent illustrer leurs reportages et contenus avec des musiques sous copyright de façon légale. En France, la SACEM remplit notamment ce rôle. Il y a de très fortes chances que les chaines de télévision américaines ont d'ores et déjà un système afin de rétribuer les auteurs de musiques utilisées comme illustrations. Ces leaders que sont Amazon (Twitch) ou Youtube devraient s'en affranchir ? En quel honneur ? Ce sont des entreprises majeures du monde du web, qui devraient déjà avoir envisagé des solutions autre que des sanctions une fois devant le fait accompli. La loi DMCA existe depuis 22 ans, il est aberrant que des mécanismes adaptés n'aient pas encore vu le jour et que ce soient aux utilisateurs d'en faire les frais !
Pour éviter les ennuis, si vous êtes streameur, filmez vous en train de manger une tartine de confiture... jusqu'à ce que quelqu'un décide d'acquérir les droits de la recette pour réclamer des royalties !
Une panique justifiée ?
Blague à part, l'aspect soudain de cette crise autour du DMCA a fait énormément de vagues, néanmoins, ne cédons pas à la panique, cela ne fera pas chavirer l'intégralité des communautés Twitch existantes. Il aurait mieux valu prévenir que guérir, hélas, mais nul doute que des solutions pourront être élaborées et seront apportées par les équipes de Twitch, par la suite. La situation de signalements massifs sans précédent les a contraint à réagir très vite et fort, mais la filiale d'Amazon comme les Streameurs eux même sauront s'adapter et poursuivre une activité normale.
Une opinion qu'a d'ailleurs partagée MisterMV qui estime que les créateurs ont su rebondir :
Nous parlons d'évolution, mais si celle-ci doit passer par l'application de la loi, ainsi soit-il ! Youtube a également subi des déboires avec l'application du droit d'auteur, pourtant des contenus de qualité sont toujours produits à travers le monde. Les créateurs s'adaptent, redoublent d'ingéniosité et il en sera de même ailleurs.
Si il n'est plus possible de badigeonner le même côté de leur toast, les streameurs changeront de côté ou remplaceront la confiture par du chocolat, mais continueront de proposer des tartines et partager leur passion quoi qu'il arrive !