Dark Souls - Analyse d'un phénomène
A l'aube de la nouvelle décennie, il est temps de regarder un instant dans le rétroviseur. Beaucoup de jeux sortis entre 2010 et 2019 influenceront certainement les œuvres des années à venir. Si on se penche sur un jeu qui aura profondément marqué la manière d'aborder le gameplay et le level design de façon moderne, un nom pourra vraiment sortir du lot, Dark Souls. Nous vous conseillons fortement la lecture du portrait que nous avons publié sur son auteur, Hidetaka Miyazaki avant de poursuivre.
Un contexte favorable
Tout d’abord, revenons rapidement sur l’année de sortie de Dark Souls car il est important d’inscrire un jeu dans son contexte temporel et ainsi faire un état des lieux sur l’industrie. Nous pourrons ensuite eanalyser l’impact que Dark Souls a eu sur celle-ci.
En 2011, donc, sortait sur grand écran le dernier chapitre des aventures de Harry Potter, The Artist qui rapporta un Oscar à Jean Dujardin et Drive de Heartman... Nicolas Winding Refn.
Du côté de notre média favori, l’année 2011 fut plutôt riche avec notamment la sortie de la 3DS de Nintendo. Toujours du côté de Big N, The Legend of Zelda: Skyward Sword sortait sur Wii en grande pompe. Pendant ce temps, l’occident proposait Batman Arkham City, Uncharted 3, The Witcher 2 et enfin Skyrim de Bethesda. Ce dernier marqua profondément les esprits alors que Bethesda proposait un RPG d’une profondeur inégalée à l’époque (peut-être encore aujourd’hui, certains en débattront).
Hormis le succès de la 3DS, l’industrie japonaise était encore en pleine tourmente à cette époque. En effet, lors de la septième génération de console, les développeurs ont eu beaucoup de mal à passer à la HD et à se renouveler.
Aujourd’hui, le jeu vidéo nippon est de retour sur le devant de la scène. De là à dire que Dark Souls a été la braise qui a enflammé le monde, il n’y a qu’un pas…
Pour mieux comprendre la déchéance et la renaissance du marché vidéo-ludique japonais, nous vous conseillons l’excellente vidéo de Game Next Door sur le sujet (voir ci dessous).
Ce qui nous pouvons en retenir, c’est que Dark Souls a été une nouvelle façon de penser le jeu vidéo par les japonais. Le jeu de From Software a, en effet, séduit le marché occidental en s’appropriant les codes de celui-ci. Avec notamment un univers de fantaisie inspiré de l’époque médiévale européenne et ses légendes, architectures... Hidetaka Miyazaki était en quelque sorte l’avant garde de la renaissance du jeu vidéo nippon.
Level Design
Une des choses qui aura le plus marqué les joueurs de Dark Souls est son level design. D’une part tortueux de complexité de l’autre guidant le joueur de façon discrète et subtile vers la suite de son aventure, la structure de Dark Souls fait et fera office de cas d’école pour tout level designer en herbe.
A la manière d’un The Legend of Zelda: A Link to the Past dont il s’inspire, Dark Souls possède une structure en accordéon. La progression du joueur se fera d’abord de façon linéaire avant de donner plus de liberté aux joueurs avec plusieurs objectifs à accomplir dans l’ordre de son choix pour ensuite se resserrer à nouveau lors de moments précis et ainsi de suite jusqu’à la conclusion du jeu.
Pour venir consolider cette structure, l’environnement principal se construit comme un gigantesque labyrinthe en 3D se complexifiant au fur et à mesure de l’aventure. Le jeu ne possédant pas de carte (certainement un autre clin d’oeil à l’époque des jeux NES), le joueur devra apprendre à se repérer dans cet environnement et y débloquer divers raccourcis et ascenseurs qui mènent d’une zone à l’autre de façon fluide. Une méthode qui, couplée au gameplay exigeant et nécessitant l’apprentissage rigoureux des mécaniques de gameplay, n’aura qu’une vocation, mettre en avant la valeur du joueur.
Zones complètes cachées
Le travail sur le level design de la part de From Software ne s’arrête pas là et prend une tournure intéressante quand on se penche sur les zones cachées du jeu. En effet des niveaux complets, souvent impressionnants, se cachent au sein de Dark Souls et pour y parvenir, le joueur devra faire preuve d’une soif de connaissance immense (ou tout simplement aller sur internet). Il en va de même pour les DLC qui ne se présentent pas au premier venu comme dans certains jeux plus “classiques”.
La narration
Hidetaka Miyazaki utilise un processus d’écriture qui emprunte au style de Ernest Hemingway, la théorie de l’iceberg. Prenons un exemple venu de l’auteur, Paradis perdu (Hills like white elephants en VO). La nouvelle, parue en 1927, raconte la conversation d’un couple qui attend dans une gare d’Espagne. Ils discutent du rapprochement que fait la femme entre les collines à l’horizon et des éléphants blancs. Le lecteur peu attentif ne comprendra pas que la discussion est en fait à propos de l’avortement prochain de la jeune femme.
Ce procédé narratif consiste à conter une histoire de manière très factuelle en décrivant simplement un dialogue entre deux personnages. Lors de la première lecture, l’histoire qui nous est contée semble très simple, c’est le sommet de l’iceberg. La psyché des personnages n’est pas décrite et laisse des trous qui laisse libre au lecteur d'interpréter et de combler ceux-ci à sa guise, c’est la partie immergée. L’usage de métaphore y est courant et il faudra lire les espaces entre les mots pour comprendre le message que l’auteur veut en réalité faire passer.
Dark Souls, ça parle de quoi?
Nous incarnons un undead, une personne qui souffre d’une malédiction qui l’empêche de vraiment mourir et qui en fait une coquille vide, un cadavre animé qui a perdu son âme. Notre but est de trouver un remède en explorant l’univers du jeu. Tout cela nous est expliqué rapidement après une courte cinématique qui introduit le lore du jeu.
Seulement, pour comprendre l’histoire dans son ensemble, il faudra au joueur curieux lire les descriptions des items, interpréter le nom de certains personnages mais aussi leurs thèmes musicaux. Pour comprendre Dark Souls, il faudra “lire” tous les éléments que les développeurs ont mis à notre disposition, tel de nombreux indices pour décrypter un secret. Il faut se laisser porter par l’histoire contée par les environnements que nous traversons.
Si nous nous intéressons quelques instants à la vie de Hidetaka Miyazaki, on peut ainsi comprendre ce qui l’a motivé à écrire son histoire de cette manière. Comme dit dans le portrait qui lui est dédié, Miyazaki était un passionné de lecture dès sa plus tendre enfance. Malheureusement, il n’avait pas toute les clés de compréhension pour lire certains livres en anglais. Alors il comblait les choses qu’il ne comprenait pas avec son imagination, écrivant ainsi une histoire qui lui était propre.
Dark Souls nous conte donc un récit de grande fantaisie parlant de mort, de ténèbres, de purgatoire et de flamme et ce de manière tout à fait implicite alors que tout le jeu transpire de ces thèmes. Un jeu qui une fois de plus ne nous prend pas par la main et où il faudra persévérer pour accéder à tout l’histoire.
Une œuvre fondatrice
Dark Souls est sans conteste l'une des œuvres les plus marquantes de cette génération tant il a profondément changé la façon d'aborder le level design et le gameplay. Bon nombre de jeux actuels ont été influencés par le jeu de From Software de près ou de loin amenant même à un terme, la "Darksoulisation" du jeu vidéo. Si ce mot est peut-être utilisé à outrance et peut en irriter certains, il est indéniable que celui-ci est une conséquence de la marque qu'a laissé Dark Souls sur l'industrie.
Outre la résurgence des jeux connotés difficiles (qui ne sont probablement pas liés au jeu de From Softaware), on a vu fleurir ces dernières années des jeux au gameplay plus exigeant. Comme la licence Batman Arkham et son "free flow" qui a imposé un système de combat basé sur le rythme, Dark Souls a montré la voie pour construire un gameplay autour de l'apprentissage par le biais d'animation fluide et d'un gameplay rigoureux mais jamais frustrant.