Night Call - Un excellent récit mais un gameplay trop juste
Après une preview qui nous avait mis l'eau à la bouche, Night Call est enfin sorti de sa cachette. Alors que vaut le titre indépendant dans sa version finale ? Nous offrira-t-il le polar vidéoludique de l'année ? Installez-vous sur la banquette arrière, le compteur tourne et le voyage pourrait être mouvementé !
Night Call est avant tout un Visual Novel - ou Roman Visuel si vous préférez. Une Histoire policière interactive dans laquelle nous incarnons un chauffeur de Taxi de nuit parisien, embauché contre son gré pour aider la police à résoudre une enquête de meurtres en série. Notre héros est en effet amené à rencontrer toute sorte de clients dans son taxi, il est l'espion idéal pour dénicher des informations et autres rumeurs. C'est dans un style visuel en noir et blanc particulièrement réussi que le titre nous accueille et on plonge avec plaisir dans ce monde monochrome, ponctué de musiques électro aux notes suaves et discrètes.
L'aventure qui nous entraînera dans les rues glaciales de Paris alternera entre deux phases distinctes : Les phases en taxi, et les phases de réflexion où notre héros tente de mettre en ordre nos indices.
"Joe le Taxi [...] connait toutes les rues par cœur"
Au volant de votre taxi, les différentes activités disponibles seront indiquées sur la carte de Paris, qui sera votre seule interface. Principalement vous trouverez les clients qui attendent d'être transportés, des stations services pour faire le plein et acheter le journal et quelques points d'intérêts qui apparaîtront en fonction des découvertes que vous aurez faites. Le gameplay, simplifié au possible consistera à choisir votre destination, sélectionner votre prochain client et décider d'accepter ou non la course en fonction de la distance et du tarif. Chaque nouvelle course est l'occasion de s'immiscer dans la vie de vos clients et éventuellement, de dénicher des infos intéressantes pour votre enquête. On retrouve dans ces instants tout le charme de Night Call : son écriture ô combien maîtrisée.
Une écriture et des dialogues passionnants !
En effet, on se retrouve à jouer les petites souris, nous devenons spectateur de tranches de vies, parfois surprenantes et souvent tragiques. Nous devenons les témoins, voire les confidents de personnages très éclectiques qui, malgré des rencontres fugaces, vont nous marquer à leur façon.
A travers ces dialogues, on nous distille le passé torturé de notre personnage, les drames que vivent certains clients lui rappelleront ses propres démons et amèneront le joueur à philosopher sur sa propre vie. L'écriture est vraiment le gros point fort du titre, elle nous dépeint parfaitement cette ambiance de roman noir que le titre souhaite mettre à l'honneur et le style des auteurs donnent énormément de personnalité à Night Call !
Tout n'est pas parfait, certes, certains personnages bénéficient d'un traitement moins qualitatif que d'autres et quelques maladresses rompent avec l'ambiance. On déplore par exemple à plusieurs reprises l'arrivée d'un indice dans une conversation sans que ça ait le moindre rapport avec le personnage. Du genre "Untel a envie de vous parler du tueur et vous confie le dernier ragot", comme un cheveu dans la soupe. Rien de dramatique, mais c'est dommage ! Néanmoins le jeu nous propose un nombre assez généreux de clients différents et dans l'ensemble c'est plus que satisfaisant et l'on se prend au jeu. La curiosité nous pousse à cliquer sur de nouveaux visages et à découvrir ce que l'avenir nous réserve...Du moins au début !
- Votre Pokédex de passagers...le Passidex -
Un gameplay trop "téléphoné"
Si dans son écriture, Night Call s'avère bien savoureux, son gameplay et son rythme deviennent répétitifs au fil du temps. Derrière le genre du Visual Novel, le titre tente aussi d'apporter de petites mécaniques de gestion, qui, si elles semblaient prometteuses sur le papier, deviennent routinières au fil du temps. Non seulement on répète mécaniquement les mêmes actions d'une nuit à l'autre, mais en plus on finit par s'en lasser. Le fait de veiller à son niveau d'essence et son argent font illusion pour tromper l'ennui lors des premiers instants, mais elle apportent trop peu de pression pour asseoir davantage l'ambiance sombre et pesante souhaitée. Le but était peut être de représenter le caractère routinier d'un job de chauffeur de Taxi et montrer la lassitude d'un personnage principal surmené, mais cela ne fonctionne pas. La seule contrainte de temps existe uniquement pour morceler la progression et ne participe pas autant, comme on l'aurait espéré, à l'univers du jeu.
Quant aux phases de "réflexion" c'est également assez succinct. Au début de l'aventure on récupère le dossier de l'enquête, lequel contient les rapports de police, autopsies ou autres photos de scène de crime. Impossible malheureusement de les consulter "pour de vrai", pour en retirer des preuves ou des déductions, il faudra juste maintenir le clic gauche enfoncé et "Hop !" l'information viendra s'ajouter au tableau de l'enquête, on aurait aimé pouvoir dénicher nous-mêmes les informations cruciales. Chaque pièce à conviction analysée coûtera du temps, vous ne pourrez pas tout analyser en une nuit de boulot, il faudra donc procéder en plusieurs fois. Cette mécanique aurait pu amener des choses intéressantes comme la gestion de la fatigue, mais non, c'est une manière de brider la progression de manière flagrante. Tout n'est pas a jeter pour autant car les intrigues soulevées sont intéressantes, et il faut avouer qu'on prend beaucoup de plaisir à établir des suppositions pour tenter de trouver un suspect principal dans notre liste, mais le gameplay manque de profondeur pour un jeu d'enquête.
Par exemple, nous avons dès le départ 5 suspects listés dont les profils sont accessibles sur le tableau de l'enquête, mais rien sur les victimes, leur nom n'est pas affiché sur le "mur" de notre personnage. L'interface pensée pour la réflexion manque également de précision, au point d'ailleurs qu'on ne sait plus à quelle victime se rapporte telle ou telle information. Il y a un véritable soucis d'ergonomie pour valoriser le raisonnement du joueur. Par exemple, lorsque vous découvrez de nouvelles rumeurs, celles-ci n'apparaissent pas en surbrillance, pénible lorsque votre tableau est déjà plein à craquer de coupures de journaux. Mais pire, certains éléments du tableaux manquent vraiment de clarté et manquent de description, ce qui peut poser de vrais soucis de compréhension. Il est normal que l'on doive réfléchir pour résoudre l'enquête, mais être obligé de traduire un élément de base qui est sensé nous aider démontre de la maladresse. Qui plus est, il y a peu d’interactions, on peut seulement déplacer les coupures présente sur le tableau ou les griser, aucun système ne récompense la réflexion du joueur, pas d'association de supposition pour créer une nouvelle "idée", la seule véritable action décisive survient uniquement en fin d'enquête lorsque sans crier gare il vous faudra pointer du doigt le coupable, comme ça, d'un coup.
Une durée de vie qui peine à passer la seconde...
Tant qu'on est dans les choses qui fâchent parlons de la durée de vie. Il existe 3 enquêtes différentes à résoudre, mais relativisions le terme "différentes". Si l'affaire n'est pas la même, le reste ne change pas, il ne s'agit pas de nouvelles enquêtes mais d'enquêtes alternatives. Les clients à déposer pouvant varier au gré du hasard, vous allez forcément recroiser les mêmes passagers que lors de la précédente enquête qui ne vous reconnaîtront pas. C'est comme si vous aviez rebooté l'histoire à zéro avec une autre enquête. Vous risquez donc de revoir plusieurs fois des dialogues que vous connaissez déjà, ce qui est dommage. Qui plus est, l'implication du héros est la même dans chaque cas : vous êtes laissé pour mort par l'assassin, vous sortez du coma et l'inspecteur vous force à travailler pour lui. Il ne s'agit pas d'une suite de la première enquête, et toutes les questions laissées en suspend repartent donc au point de départ, et c'est un poil décevant. Comptez entre 10 et 15h pour finir toutes les enquêtes avec une redondance inévitable qui rejoint le défaut routinier évoqué plus haut...
Conclusion - Night Call : plus "Roman" que "Interactif"
Night Call a tout pour plaire aux amateurs de jeux narratifs et aux joueurs qui savent apprécier les romans policiers à suspense, avec ses personnages touchants de sincérité et son style bien a lui. Hélas, si l'écriture des personnages secondaires et des enquêtes est bien ficelée, c'est un jeu qui à contrario n'arrive pas à dissimuler "les ficelles" de son gameplay. Comme un magicien qui dévoile le secret de son tour en plein spectacle. Cela signifie-t-il que votre humble testeur n'a pas apprécié le jeu ? Au contraire, l'ambiance visuelle, sonore et scénaristique peut véritablement l'emporter sur le reste des défauts, mais il faut admettre que Night Call n'a pas atteint tout le potentiel que l'on devinait en lui. Il ne manquait pas grand chose pour qu'un titre avec une telle qualité d'écriture ne devienne un jeu incontournable de la scène indépendante.
Night Call dispose néanmoins de suffisamment d'atouts pour satisfaire les joueurs occasionnels grâce son accessibilité et ses intrigues alléchantes, mais les joueurs chevronnés des jeux d'enquête resteront probablement sur leur faim. Pour l'apprécier pleinement, il faut faire abstraction du côté interactif et le voir comme un roman vidéoludique et faire abstraction du peu d'interaction qu'il apporte, et alors, tout un univers s'offrira à vous !