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Thymia - Des jeux vidéo pour détecter la dépression

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Alors qu'un ensemble de pays commencent à peine à envisager la fin des restrictions sanitaires, de plus en plus se fait entendre l'espoir que le pire de la pandémie est derrière nous. Cette période a mis le doigt sur plusieurs éléments de notre société, dans son rapport à la santé, l'écologie ou le travail. La Covid aura également laissé derrière elle un sillage assez malheureux, révélant des angoisses et des fragilités causées par les confinements, les deuils ou la solitude. Dans cette perspective, la société Thymia s'est donnée comme objectif de produire un ensemble de jeux vidéo visant à améliorer le diagnostic de personnes souffrant de troubles dépressifs.

Les co-fondateurs de Thymia, Dr Emilia Molimpakis et Dr Stefano Goria Les co-fondateurs de Thymia, Dr Emilia Molimpakis et Dr Stefano Goria

Répondre aux besoins des praticiens avec Thymia

Prendre soin par les jeux

L'initiative a lieu en Grande-Bretagne, sous la pulsion de deux scientifiques : la neuroscientifique Emilia Molimpakis et le physicien théoricien Stefano Goria. Au travers de protocoles qui font appel à la linguistique, la neuroscience cognitive et la psychologie expérimentale, Thymia propose d'aider à la détection de symptômes spécifiques, qui pourraient à terme permettre à un médecin traitant d'établir un diagnostic sur la santé mentale d'une personne. Pour Emilia Molimpakis, une telle méthode est certainement plus efficace, et plus rapide, que les outils utilisés par les praticiens :

Actuellement, le système de santé existant est défectueux sur plusieurs points, d'abord par ce que les médecins soignants n'ont pas de temps, que les outils à leur disposition ne sont que des questionnaires subjectifs foncièrement biaisés, et qu'il n'y a aucun suivi entre les rendez-vous. Thymia est le premier système qui offre de l'objectivité et qui utilise différents types de données afin de créer un modèle véritablement efficace et précis sur la dépression.

Dans leur conception, les jeux demeurent rigoureusement simples, pour faciliter une prise en main immédiate et intuitive directement sur téléphone ou tablette. Ils consistent en une série de tâches répétitives, sur l'écran ou par des déclarations verbales, afin d'évaluer notamment la capacité du patient à y répondre rapidement.

En outre, se rajoute un fabuleux travail sur une IA d'analyses par Stefano Goria, spécialiste en IA explicable et multimodale. L'IA enregistre alors anonymement les sons émis par le joueur, mais prête aussi une grande attention à ses réactions faciales, dans l'objectif de détecter des signaux relatifs à un esprit ou un épisode dépressif. L'ensemble de ces données, mises en parallèle des résultats en jeu, doivent permettre d'offrir une visualisation de l'état mental de la personne.

Thymia et deux exercices proposés Deux exercices sont proposés actuellement : la description vocale d'images et un jeu vidéo de mémoire.

Un contexte urgent

L'usage d'une IA de ce type est particulièrement intéressant dans ce cas de figure. Plus elle accumulera d'expériences de jeu dans son historique, plus elle sera en mesure de fournir une analyse précise et correcte de la maladie. Après un financement à hauteur de 1.5 million de dollars en 2021, Thymia a réussi à collecter 3500 heures de données à ce jour et débute dorénavant des essais en cliniques. Si le système prouve son efficacité, Emilia Molimpakis prévoit d'étendre le champ de recherche à d'autres troubles, tels que l'Alzheimer ou la maladie de Parkinson.

Il faut noter que la création de Thymia intervient à point nommé, avec une situation particulièrement urgente du point de vue de la santé mentale. En Grande-Bretagne, c'est un tsunami dépressif dévastateur qui s'abat sur le pays depuis le début de la pandémie en 2020, avec une liste d'attente officielle pour des soins qui atteint 1.6 million de personnes. De son côté la France n'est pas en manque, avec une hausse des cas dépressifs de 2.5 points, pour un ensemble à 72% de médecins qui constatent des demandes de soins mentaux plus fréquents qu'à l'ordinaire.

Du point de vue du développement des technologies, la ludification d'outils ou de méthodes traditionnelles est de plus en plus courante. On le constate dans l'enseignement, les formations, mais aussi la rééducation motrice avec MediMoov. C'est un procédé inventif et qui fait ses preuves lorsqu'il s'agit d'engager la personne dans un travail (médical, tâche répétitive, étude, sensibilisation, etc.). Néanmoins, il s'agit aussi d'un objet très attractif pour des entreprises souhaitant renouveler leur public ou parfaire leur communication, comme l'industrie de la mode. Avec l'attrait actuel que suscite l'industrie vidéoludique, un outil de ludification peut être un gage de confiance important avec de potentiels partenaires, et de ce fait la promesse de financements appréciables.

Capture écran Thymia Par exemple, il est demandé ici de ne toucher les abeilles qu'une seule fois, testant la mémoire et la réponse cognitive du patient.

Un outil d'accompagnement avant tout

À coup sûr, le projet Thymia a un grand intérêt si ses analyses sont retravaillées et possiblement réinterprétées par un spécialiste de la psychologie humaine. L'outil technologique est prometteur, pour une IA qui présente des capacités de détection largement supérieures à celle d'un humain. Malgré tout, la question de la cohérence d'un diagnostic dit "objectif" se pose, les personnalités et les troubles psychiques demeurants assez complexes et subjectifs. En outre, il serait plus juste de parler de troubles dépressifs plutôt que de la dépression, car comme beaucoup d'autres pathologies, la maladie évolue sur un spectre large, prenant des formes différentes et particulières selon les personnes.

La psychologue Lucy Johnstone La psychologue Lucy Johnstone

La psychologue clinicienne Lucy Johnstone admet, sur Sky News, l'importance de renouveler des méthodes clairement caduques et qu'un outil comme Thymia a sa place auprès d'un praticien. Il est essentiel cependant de rappeler qu'un tel diagnostic ne se substitue pas à un suivi avec un spécialiste et que, plus encore, c'est le manque de praticiens qui est à l'origine du problème dans notre système de santé :

On en sait beaucoup sur les circonstances qui mènent les personnes à être dépressives. En vérité nous avons besoin qu'un humain s'installe et nous questionne sur ces événements dans notre vie. C'est cela qui nous aide à comprendre mieux les personnes.

Rendre un outil plus ludique peut certainement participer à cette compréhension. Il demeure auparavant fondamental de rester informé sur les besoins essentiels qui ont été à l'origine de cet outil. À partir de là, Thymia doit être vigilant à ne pas perdre de vue son objectif d'accompagnement médical, ou il peut rapidement être détourné par le marché toujours plus prospère de la ludification.