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Design-moi un jeu vidéo - Le Game Design à la loupe

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Le 26 novembre dernier, les lourdes portes de l’ancienne manufacture d’armes de Saint-Etienne s’ouvraient sur la Citée du Design et sa nouvelle exposition : Design-moi un jeu vidéo. Réalisée par Jean Zeid, cette exposition vise à plonger ses visiteurs dans les coulisses de la création d’un jeu vidéo en se basant sur quatre axes principaux de leurs conceptions : l’esthétisme, la narration, les mécaniques de jeu et la technologie.

IFR_2955 La visite commence par l’esthétique

Chacun de ces axes sont décortiqués au travers de diverses thématiques comme par exemple les personnages ou l’environnement pour l’esthétisme, l’expression pour la narration, les récompenses et l’action pour les mécaniques de jeu et la plateforme ou le moteur pour la technologie. Ce ne sont là que quelques exemples des 45 thématiques liées au Game Design passées à la loupe au fil de cette exposition et chacune sont illustrées par des documents de conceptions ou un jeu à la disposition des visiteurs.

Et, pour prendre à contre-pied l’expression, ce sont bien 36 jeux qui seront ainsi jouables tout au long de la visite. Avec des thèmes et des époques allant littéralement de Pong à Death Stranding, toutes les générations sont abordées pour montrer l’évolution du jeu vidéo par le design. Mais au lieu de vous en faire une visite écrite, nous allons laisser la parole à Jean Zeid qui à bien voulu répondre à quelques questions.

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Portrait de Jean Zeid par Erwan Terrier

Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Jean Zeid, je suis commissaire d’exposition ici à la Citée du Design de Saint-Etienne, expo qui s’appelle Design-moi un jeu vidéo.

D’où vient l’inspiration pour cette exposition ?

Ce qui m’a inspiré l’exposition est une grande frustration. Frustration de voir que le jeu vidéo fait partie des divertissements les plus populaires au monde, en France et à Saint-Etienne et de voir qu’il est si malmené ou si peu montré et si peu connu finalement du grand public. On expose assez peu la manière dont on conçoit les jeux et ça a fait naître une grande frustration.

Quand la cité du design m’a appelé pour me dire « tiens on pense à une exposition de jeu vidéo, on a vu celle d’il y a deux ans sur Paris, à la fondation EDF qui était dédiée à l’histoire du jeu vidéo, est-ce que ça te dirait de faire la même chose à Saint-Etienne ? ». J’ai dit oui évidemment mais pas sur l’histoire du jeu vidéo, puisque nous sommes à la cité du design faisons quelque chose sur le Game Design, sur la conception de jeu mais une exposition complète, c’est-à-dire qui se veut complète et qui veut dévoiler les coulisses de ce divertissement qu’on aime tant.

Parmi votre exposition se trouve un espace dédié au jeu indépendant en partenariat avec l’école de design de Saint-Etienne. Avez-vous réalisé d'autres projets avec eux pour cette exposition ?

Non, déjà on a discuté pour savoir comment l’intégrer et s’il fallait l’intégrer, la réponse a été évidemment oui. Parce que cette génération indépendante, cette nouvelle génération du jeu indépendant est absolument incroyable de vitalité et de créativité en termes de Game Design et de conception. Le jeu mainstream, les jeux à gros budgets se sont largement servis de ces innovations là et ont évidemment regardé.

Maintenant, un peu comme l’art et essai au cinéma, ça a vraiment créé un vivier d’idées pour les autres et pour les jeux vidéo indés aussi. Ils sont peut-être un peu trop florissant, c’est difficile d’y retrouver ses petits mais je trouve que la vitalité est incroyable. Et puis finalement si on a envie de faire un jeu vidéo on peut se lancer, voilà on se lance. On peut chuter, c’est pas grave, on peut ne pas réussir mais le jeu vidéo permet désormais cette aventure-là, on peut se l'offrir. Je trouve ça vraiment intéressant de pouvoir l’intégrer à la visite.

L’exposition s’est faite relativement rapidement, y a-t-il des regrets par rapport à ça ?

Non je ne regrette pas le manque de temps, on avait cinq mois, à un moment il faut quand même faire les choses. Elle est déjà très riche cette exposition, je m’en suis rendu compte au moment du montage et je me suis dit « Ha oui, on a quand même tout ça ». Peut-être que par peur de manquer on a voulu énormément de choses. Après les expos à l’arrache... Elles sont toujours à l’arrache en réalité ! J’aurai voulu peut-être avoir un peu plus de temps pour faire un catalogue. On dit que c’est pour frimer, que ça sert à rien mais ça sert, ça laisse une trace, ça marque le coup plus tard, quand l’exposition est terminée.

Mais on a quand même réussi à avoir Death Stranding, première en Europe, des concepts arts qui sont venus un peu à l’arrache, ça arrive. Mais je pense que non, pas de regret, je regarde même l’exposition maintenant et je trouve même qu’il nous manque quelques mètres carrés alors qu’au début on se demandait comment on allait remplir 800 mètres carrés, pour les visiteurs c’est cent fois trop grand. Il nous manque peut-être même cent mètres carrés et on serait plus à l’aise.

Qu’est-ce que vous auriez fait de ces cent mètres carrés supplémentaires ?

J’aurais créé un peu plus d’espace pour l’esthétique, on est vraiment très riche à ce niveau-là mais c’est normal, c’est la partie qu’on voit du jeu vidéo avec les concepts arts qu’on a sur Dishonored ou Assassin’s Creed par exemple. Ça fait du monde à loger et à regarder, plus les jeux… Peut-être que j’aurai agrandi cette partie pour la rendre un petit peu plus grande maintenant que je la vois. Après je trouve l’exposition équilibrée, on peut se balader, s’asseoir et discuter de ce qu’on a vu ou d’autres choses et revenir à l’expo avec des lieux de pauses. Je trouve ça convivial. La première partie est très dense, on est directement dans le feu de l’action.

Votre exposition est en quatre parties : esthétisme, narration, game play, technologie. Est-ce que l'une d'entre elles vous tient particulièrement à cœur ?

Oui, c’est celle de la narration. Mais même si j’aime les jeux narratifs ce n’est pas pour cette raison. C’est sans doute là où le jeu vidéo pourra encore gagner en popularité et en force quand il aura trouvé le ton juste, la façon et la manière d’intégrer de l’histoire de mieux en mieux. Par exemple on a un story board de A Plague Tale : Innocence qui est un jeu très dur sur la peste, la guerre de cent ans et les relations frère-sœur. Et je trouve que là on atteint un niveau de narration et de jeu très fort et je suis vraiment épaté par ça. Donc c’est vraiment un lieu qui me tient à cœur. Il y a Papers Please où on joue un douanier qui doit accueillir une vague migratoire dans un pays sous dictature, est-ce qu’on va être le salaud ordinaire ? Le fonctionnaire zélé ? Est ce qu’on va être gentil au risque de perdre sa famille ? Il y a des jeux qui interrogent.

Cette exposition accueille beaucoup de documents de conception inédits. Était-ce compliqué de récupérer tous ces documents ?

Non, ça a été beaucoup de travail mais finalement assez peu compliqué. Pour certains la discussion a été assez longue comme Death Stranding. C’est une première en Europe donc il a fallu discuter assez longtemps. Et puis c’est une industrie donc les gens n’ont pas que ça à faire d’aider un commissaire d’exposition. C’est pour ça qu’on perd beaucoup de documents anciens, de concepts arts, etc… Car c’est une industrie qui jette, on a sorti un jeu et on prépare déjà le prochain du coup on ne pense pas à garder des documents de conception pour des expos. Certains commencent à le faire, comme Ubisoft qui a une politique là-dessus mais c’est compliqué. Ce qui est compliqué c’est de voler un peu de temps à des gens qui n’en n’ont déjà pas. Mais une fois qu’on leur dit ce qu’on veut faire ils trouvent ça super. C’est pour ça qu’on en a eu autant en cinq mois et que les négociations ont été assez faciles.

Si vous amenez votre exposition ailleurs, changerez-vous la sélection des jeux pour chaque thématique ?

A vue de nez je garderais comme ça, on verra. On a été un peu exigeant, il y a des jeux qui ne se prêtent pas tellement à l’exposition. Les jeux à exposer ce sont les jeux d’arcade, facile à prendre en main et difficile à maîtriser : les Spaces Invaders, les Pongs etc. Là il y a des formes et des genres très différents mais c’est une volonté. Donc si les jeux sont peu joués par ce que c’est pas le lieu d’une expo de jouer à, par exemple, What Remains of Edith Finch qui est un jeu sur le deuil. Là c’était pas grave, on ne voulait pas créer une salle de jeu, on voulait vraiment créer une expo sur le Game Design. Alors on peut y jouer mais il y a une exigence à l’entrée pour certains jeux. On ne joue pas à un Dark Souls ou à un Mist comme on peut jouer à un Space Invaders. Beaucoup de gens testeront cinq minutes et puis abandonneront mais c’est comme ça. Au moins ils verront une autre forme de jeu vidéo devant eux.

Est-ce que vous auriez un conseil pour nos lecteurs qui voudraient se lancer dans le jeu vidéo ?

De travailler, bosser, faire des jeux. Il y a des formations qui traînent, de game designer, de programmeur… Commencez à programmer, par curiosité, même si ça ne vous plaît pas au moins pour savoir comment tout ça est fichu. Et deuxièmement d’avoir de la curiosité sur tout. Ici par exemple on montre que Fortnite tire son origine d’un roman Japonais de la fin des années 90 plutôt politique, même si sanglant, nommé Battle Royale puisque c’est le genre battle royale. Le Game Design est partout mais il faut gratter pour le voir. Ne jouez pas qu’aux jeux. Je comprends que ce soit un besoin générationnel, en plus c’est un besoin pour ringardiser les vieux donc ça marche très bien mais parfois il y a des gens qui ne jouent qu’aux jeux, qui ne parlent que de jeux et qui n’ont de références que vidéo-ludiques or c’est une erreur.

C’est une erreur car le jeu vidéo est partout ou en tout cas on peut le nourrir de partout, c’est vraiment une industrie multimédia qui peut se nourrir de tout. Lisez, lisez des livres, du King, de la fantasy, de l’imaginaire à fond, chez les Grecs il y a des choses géniales qui n’ont pas encore été parcourues, des jeux géniaux à faire sur les principes du théâtre antique. Faut-il encore en avoir la curiosité et ne pas avoir peur d’y aller. Le Game Design c’est une vieille chose, le jeu vidéo ne l’a pas inventé donc inspirez-vous d’autres choses !

Un mot pour la fin ?

Venez, venez découvrir ! Tous les chemins ne mènent pas à Saint-Etienne mais venez découvrir l'expo à travers une balade en famille, c’est vraiment quelque chose qui peut se faire, pour s’engueuler, faire la paix et essayer de contextualiser tout ce jeu vidéo qui est finalement très commun.

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