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Derrière l'écran : Silvia Gaillard, actrice en motion capture : "Il ne s'agit pas de surjouer mais d'interpréter comme on le fait au cinéma ou au théâtre"

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Comédienne, danseuse, mime, metteure en scène et auteure, Silvia Gaillard a accepté de répondre à notre interview pour nous parler plus précisément de son travail de comédienne en motion capture dans le jeu vidéo.

Peux-tu te présenter ainsi que ton parcours ?

J'ai grandi dans un milieu artistique entre cabarets, humour et transmission de l'art corporel, qu'est le mime. Entre mon père, André Gaillard, auteur et interprète des nombreux sketches des "Frères Ennemis", duo qu'il formait avec Teddy Vrignault. Et ma mère, Simone Conein-Gaillard, créatrice de la Mimothérapie dans le cadre la psychomotricité à Paris 7. Tous deux anciens partenaires de Marcel Marceau, ils m'ont transmis le goût de la scène, du mouvement, de la qualité du travail bien fait, mais aussi du cinéma.

Mon apprentissage artistique commence vers 5 ans avec la danse classique, puis le modern jazz. Sont venus ensuite l'art dramatique à 14 ans, le mime, bien sûr, et le chant. Tout au long de mon parcours, je n'ai cessé de créer : des spectacles, des courts métrages, j'ai écrit et adapté des textes scéniques. J'ai un parcours de danseuse de music-hall, mais également de comédienne.

J'ai souvent collaboré en famille avec ma sœur Valérie Gaillard, mime et chanteuse, et mon mari Marc Salon, auteur et mime, notamment dans des spectacles pluridisciplinaires. J'ai monté un groupe Les Drôles de Parisiennes, spectacle de cabaret que nous avons joué plusieurs années et en tournée en Asie : Singapour, Malaisie, Sri Lanka.

Au début des années 2000, j'ai créé ma compagnie théâtrale Arsène Créations avec laquelle nous développons des projets d'écritures, notamment en motion capture avec Rémi Brun et le studio Mocaplab. Pendant toutes ces années, j'ai joué dans des films, des pubs, au théâtre. Je suis partie étudier Shakespeare à Londres et le Kabuki à Tokyo !

J'ai réalisé un documentaire sur le handicap et son impact sur le lien fraternel, adapte et écrit des pièces pour la jeunesse et développe des idées de séries.

J'enseigne également, car j'aime transmettre mon art et ses techniques vers toutes sortes de publics, jeunes ou moins jeunes. Cet enseignement me permet d'approfondir mes acquis sur le travail corporel et le jeu. J'aime transmettre, guider, permettre à une personne de s'épanouir artistiquement avec bienveillance. Je suis notamment intervenu aux 3IS auprès des étudiants animateurs 2D et 3D pour la création de personnages. J'y interviendrais au printemps pour les apprentis acteurs.

En quoi consiste le métier de comédienne en motion capture ?

Silvia Gaillard - équipement mocapLe/la comédien·ne en motion capture est celui qui va donner vie aux personnages qu'il incarne. Il lui prête non seulement ses mouvements, mais surtout ses intentions, ses émotions à travers son jeu.

Ce travail, contrairement à des idées reçues, n'est pas juste un travail corporel ou du mime. C'est un vrai travail d'acteur. Il ne s'agit pas de surjouer mais d'interpréter comme on le fait au cinéma ou au théâtre. Sauf que les contraintes techniques sont encore différentes, puisqu'il y a une quarantaine de caméras ou « capteurs » installées à 360° ! Et c'est ce qui en fait une des spécificités ! Pas de regards caméra ni de face public ! On est libre comme sur un immense terrain de jeu ! Ou presque... C'est au réalisateur ensuite de faire son choix d'axes sur l'ordinateur.

Et puis, on porte cette combinaison et ce bonnet munis de marqueurs qui permettent de capter nos mouvements. Interdit de croiser les bras, les jambes ! C'est une contrainte différente !

Comment est né ce métier ?

Pour ma part, j'ai eu une première expérience en 1995 chez Duran, par mon ami producteur Jean-Christophe Barret (La Marche de l'Empereur). Il connaissait mon parcours corporel et c'est vrai qu'à l'époque, c'était les balbutiements. Avec les jeux vidéo, les concepteurs ont rapidement senti le besoin d'améliorer la véracité des mouvements et des réactions des personnages. Et puis, outre-Atlantique, ils avaient déjà testé cette technique dans des longs-métrages. Mais Rémi Brun, ingénieur du mouvement et CEO de Mocaplab vous en dirait bien plus que moi sur ce sujet ! Il est incollable !

Quelle est la partie la plus importante de ton travail ?

Sur le plateau, bien sûr, avec un minimum de préparation en amont. C'est là que je donne toute la mesure de mon talent ! Le jeu en motion capture, c'est du micromouvement, de l'émotion au microscope prise à un instant T. Être à l'écoute du concepteur de jeu vidéo, bien comprendre les enjeux, les rêves, faire des propositions avec mes partenaires.

Comment travailles-tu ? Équipement, en individuel ou en groupe, …

Aujourd'hui, les concepteurs de jeux vidéo ont compris le travail d'un acteur, ce qu'ils peuvent en attendre et lui demander. Ce qui n'était pas le cas au début. Donc on reçoit le scénario en amont, voire quelques animatiques. Cela est très important pour connaitre le projet, construire mon ou mes personnages et faire des propositions. Il y a une partie de travail personnel et en équipe. Apprendre son texte, presque toujours en anglais, avoir un maximum d'informations et poser des questions le matin lors du briefing pour bien s'imprégner du projet.

Sur « Life Is Strange 2 », Jean-Luc Cano nous avait envoyé le script, extrêmement bien écrit et détaillé. C'était un réel plaisir de travailler dans ces conditions. Et puis j'adore travailler en équipe, avec les acteurs mais aussi avec les animateurs et techniciens. Il y a toujours une complicité qui s'installe, comme sur un tournage. J'ai toujours plaisir à retrouver les équipes de Mocaplab et de Quantic Dream, les deux principaux studios avec qui je travaille. De plus, j'ai besoin de voir les suites du projet, de connaitre le résultat sur les écrans et je sais que pour les techniciens, c'est aussi important de s'intéresser à leur travail. C'est une chaîne !

Sur le magnifique projet « Notre Dame » de Emissive, Tarek El Khamsa m'a convié à découvrir les prémices de l'expérience VR en studio, et j'apprécie énormément de prendre part aux aboutissements d'un projet.

Parfois, hélas, et à tort, les acteurs mocap sont considérés comme la dernière roue du carrosse à qui l'on donne moins d'importance qu'à ceux qui prêtent leurs voix.

Comment devient-on comédienne spécialisée dans ce domaine et quelles sont les compétences requises ?

En France, il n'y a pas de formation contrairement en Angleterre et aux States. Tout simplement parce que nous ne développons pas assez de projets, comme des longs métrages. Une bonne partie des acteurs mocap sont aussi cascadeurs et ont des compétences en arts martiaux. Ce qui n'est pas mon cas !

Il faut avoir une formation d'acteur, être bilingue anglais, avoir une bonne endurance et concentration, car les tournages sont longs et fatigants. Il y a de nombreuses scènes à jouer et à rejouer de 9h à 19h !

Qu’est-ce qui t’a donné envie d’exercer cette activité ?

À vrai dire, j'ai auditionné en 2008 pour le projet « Grey's Anatomy » chez Attitude Studio. Ils cherchaient des actrices bilingues. J'avais entendu parler de cette technique qui me plaisait bien comme tout ce qui est nouveau dans mon métier ! Ce qui m'a plu, c'est cette possibilité d'interpréter toutes sortes de personnages indépendamment de mon âge : une vielle espionne, une jeune junkie déjantée, une maman trop cool, une grand-mère… Ou différent de mon sexe ! J'ai même été Napoléon !

Peux-tu nous dire quels sont tes trois jeux vidéo préférés ?

J'ai adoré les univers fantastiques de Call of Cthulhu et The Council, ainsi que Life is Strange qui est tellement touchant !

Quelle est la suite pour toi ?

Je suis en train de développer un court-métrage fantastique pour lequel je souhaite utiliser la motion capture. Pour ce projet, je voudrais collaborer avec une animatrice dont le "coup de crayon" et l'univers correspondent à mon histoire. Je suis donc ouverte à ce qui se fait. À suivre donc…

Un petit mot pour la fin ?

Je suis ravie que les conceptrices de jeux vidéo aient commencé à changer la donne dans la vision des personnages féminins. On s'éloigne de Lara Croft ! qui est une fille sympa somme toute...

Comme comédienne, j'ai à cœur d'interpréter des personnages en accord avec mes convictions.

Merci pour cette interview !

Merci à toi Silvia d'avoir répondu avec autant de précision sur ton métier.