Dead Space - L'immersion par-delà l'espace
Dans le cosmos vidéoludique, des étoiles se sont succédées les unes aux autres. Entre vrais astres ou désastres, chaque année, de nombreux studios filent sous nos yeux écarquillés et nous, joueurs et observateurs, nous ne faisons que furtivement les contempler. Il est de coutume de dire que de là où nous sommes, nous ne faisons qu'observer la lumière d'étoiles déjà éteintes depuis bien longtemps. C'est le cas de Visceral Games. Anciennement connu sous le nom EA Redwood Shores, le génie de ce studio et de leur création originale, Dead Space, irradie encore de lumière nos mirettes et pour longtemps encore, malgré leur disparition. Revenons ensemble sur cette grandiose création qui n'a pas fini de vous faire trembler !
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La Génèse du Projet : RE4, en mieux !
Le contexte créatif
Cantonné à remplir des commandes pour fournir des jeux à licences durant l'ère PS2 Gamecube et Xbox, le studio EA Redwood Shores enchaîne des titres comme « Le Retour du roi » ou des adaptations de James Bond. Sortant du projet « Bons Baisers de Russie », Glen Schoffield, Producteur Exécutif de Dead Space, a alors eu un déclic.
En 2005, tandis que ce dernier est totalement subjugué par la qualité de Resident Evil 4 - encensé autant par la presse que par le public - une révélation lui est apparue : créer le jeu d'horreur « le plus effrayant possible », rien que ça. L'équipe étant composée de passionnés de films d'horreur et de Science-fiction, il était impensable de faire les choses à moitié et de nombreux films du genre (dont Alien de Ridley Scott, en tête de file) ont inspiré le développement du titre dans sa mise en scène et sa gestion de la peur.
Mais revenons en à RE4. Glen Schoffield, joueur acharné de son état, clame haut et fort que Resident Evil 4 est l'un de ses jeux préférés de tous les temps. Et on ne peut que lui donner raison. Il met notamment en avant la gestion de la tension sur le joueur, quasi exemplaire, sa caméra à l'épaule, révolutionnaire à l'époque, son ambiance pesante mais fascinante, etc...de nombreux ingrédients qui à ses yeux ont rendu le titre mythique et immersif. Puisant dans cette source aux mille et unes inspirations, Schoffield et son équipe s'apprêtaient à aller encore plus loin dans l'immersion du spectateur et étaient sur le point de dépoussiérer totalement, le genre du survival-horror.Le contexte narratif
Dead Space atterrit sur Xbox 360, PS3 et PC le 14 octobre 2008. Le titre nous glisse dans la combinaison d'Isaac Clarke, un ingénieur venu avec une petite équipe pour porter secours à l'USG Ishimura, un vaisseau spatial « brise surface » parti forer le minerai rare de la mystérieuse planète Aegis VII. Le bâtiment ne donnant plus signe de vie depuis plusieurs jours, l'équipe d'Isaac est dépêchée sur les lieux et va vite s’apercevoir que des créatures appelées Necromorphs (sans doute un clin d'oeil au Xenomorphs d'Alien) ont décimé tout l'équipage. Notre héros et ses collègues vont se retrouver piégés et isolés dans cet immense cercueil qu'est l'Ishimura. Livré à lui même, Isaac va devoir survivre à ce cauchemar et trouver une solution pour quitter le vaisseau en un seul morceau.
Notez que le nom du héros Isaac Clark est un clin d’œil à deux auteurs très célèbres de Science-Fiction : Isaac Asimov et Arthur C.Clarke !
L'immersion qui dépasse la stratosphère
Run and Gun ?
Malgré une multitude de qualités qu'il porte au crédit de Capcom et RE4, Schoffield trouva que certains détails du gameplay le faisaient sortir de l'ambiance du jeu et rendaient le 4ème mur trop visible. C'est notamment le cas du système de visée. En 2005, sortie de RE4, le personnage de Léon devait obligatoirement s'arrêter pour tirer. Certes, la rigidité du gameplay participait grandement au sentiment de stress et de tension, en particulier lorsqu'on se trouve submergé par des hordes d'ennemis, mais à ses yeux, cela semblait contre-instinctif de rester figé sur place pour tirer au lieu d'esquiver et s'enfuir tout en restant en joue, comme dans la vraie vie.
Cela parait banal de nos jours mais Dead Space fut le premier Survival-Horror digne de ce nom à proposer un gameplay qui permettait de tirer tout en se déplaçant. C'était un risque en terme de rythme de jeu, la crainte était de donner trop de liberté et de diminuer la tension pour le joueur. Mais pour palier ce problème, les membres du studios ont travaillé d'arrache-pied pour nous mener la vie dure. "Membres"..."arrache-pied"... Vous allez vite comprendre...
Ça va trancher, Chéri(e) !
L'une des principales caractéristiques de Dead Space, c'est son arsenal industriel et la nécessité de découper les membres des Necromorphs pour en venir à bout. Isaac étant un ingénieur officiant sur un vaisseau de forage, il a accès à tout un équipement de "cutter plasma" et autres "découpeurs". Viser la tête d'un ennemi est totalement inutile, il vous faut absolument viser les tentacules et autres appendices du bestiaire qui n'hésitera pas à faire la même chose de notre pauvre héros. Ainsi, la capacité de se déplacer tout en visant est rééquilibrée par la difficulté de cibler méthodiquement certaines parties des monstres. Ajoutons à cela que votre arme principale, le cutter-plasma, peut incliner son angle de découpe ! Cela vous parait être un minuscule détail mais devoir gérer ce paramètre en plus du reste va demander un effort de concentration supplémentaire rendu très compliqué lorsqu'on est face à plusieurs créatures à la fois. Ce niveau de concentration et d'interaction est si intense que le joueur est forcément plongé totalement dans ce qu'il fait, rendant l'immersion encore plus forte. Ce qui est fascinant, c'est que l'équipe est véritablement partie du démembrement comme un élément de gameplay, pour construire tout le reste du jeu : le design des ennemis par exemple s'est vu construit autour de cet aspect. Cela se ressent tout au long du soft et c'est une réussite totale.
Le HUD diégétique
Ce qui distingue nettement Dead Space des autres productions de l'époque et fait de lui un cas d'école pour les productions d'aujourd'hui, c'est clairement la gestion de son HUD, ou l'interface de jeu, pour être plus clair.
Le titre dispose de ce que l'on appelle une interface diégétique, c'est à dire qu'elle est totalement intégrée à son univers. Ce qui donne des informations aux joueurs, existe de manière physique ou holographique dans le jeu. Il n'y a pas de compteur de munition indiqué à l'écran, le jeu veut vous faire oublier que vous êtes séparé par un écran et pour y parvenir, il a été très malin.
L'énergie de votre personnage apparaît sur la combinaison d'Isaac, votre stock de munition s'affiche en hologramme au dessus de votre arme lorsque vous visez, votre inventaire et votre carte apparaît également sous forme de projection virtuelle devant les yeux de notre personnage, etc... Et le temps ne s'arrête pas lorsque vous prenez le temps d'inspecter votre inventaire, le jeu continue, et les ennemis aussi. Cette succession de petits détails forment un tout d'une cohérence inouïe, c'est cette différence qui nous fait sentir que nous sommes face à un Grand jeu, un classique instantané.
The muting of Isaac
Parlant de classicisme, beaucoup d'héroïnes et de héros de jeux célèbres ont la particularité de ne jamais parler, on peut citer Link de The Legend of Zelda, Samus Aran de la saga Metroid ou encore Gordon Freeman de Half-Life. Eh bien, le personnage principal de Dead Space répond également à cette particularité. Malgré la présence de dialogues pour les autres protagonistes, Isaac restera muet durant toute l'aventure. Étonnant, étant donné la place importante du sound-design dans un jeu d'horreur, non ? Que nenni ! Ne dit-on pas que dans l'espace, personne ne vous entendra crier ? C'est faux, croyez moi, vous entendrez Isaac hurler très souvent...Le mutisme pour les héros de jeux vidéo est souvent mis en avant pour laisser le joueur s'identifier à son avatar, et c'est totalement le cas dans le titre de Visceral Games. C'est d'autant plus vrai qu'Isaac est dissimulé par son casque pendant toute l'intrigue, on ne peut que s'imaginer davantage à sa place. Cependant, ce "silence" est surtout là pour renforcer l'ambiance pesante et le sentiment d'isolement claustrophobique souhaité par les auteurs. Ou devrions nous dire : claustrophonique ?
Un gameplay classique et innovant !
Nous ne sommes pas réellement dans un test et un simple article ne pourrait pas faire une liste complète de toutes les possibilités de gameplay qu'offre Dead Space, tant elles sont nombreuses. Il faut cependant noter la présence de passages entiers à traverser avec une durée d'oxygène limitée : ces zones sont terriblement stressantes car, absence d'air oblige, la perception du son nous quitte. On doit donc traverser des salles potentiellement peuplées de créatures hostiles que l'on n'entendra pas surgir, tout en scrutant son oxygène qui part à vitesse grand V. Évoquons également les zones sans gravité. Le vaisseau étant endommagé, certains secteurs n'ont plus de système de pesanteur artificielle. Isaac peut donc sauter d'un bout à l'autre de la pièce... Mais les ennemis aussi ! Le danger peut donc frapper de toutes parts et la panique peut rapidement prendre le dessus. Les développeurs sont donc si cruels ? Oui, mais on en redemande !
Un Monolithe du jeu vidéo
Quel héritage laisse-t-on derrière soi lorsqu'une aventure s'achève ? Se souviendra-t-on de ces instants où la lumière brillait encore ? Concernant Dead Space, il est indéniable que la trace qu'il a laissé en matière de mise en scène, de soucis du détail, d'immersion du joueur, affecte encore aujourd'hui le « jusqu'auboutisme » que l'on retrouve dans les plus grands triple A. Mieux : les exemples de nouvelles licences portées à bout de bras jusqu'au sommet de leur art comme a pu l'être Dead Space, sont de plus en plus rares. Le soft est une magnifique leçon de gamedesign, et on a la sensation palpable d'être en présence d'un grand classique dès la première partie lancée. On peut affirmer sans trembler que Dead Space a contribué à modeler le système solaire du JV tel qu'on le connait aujourd'hui. Comme quoi, les lumières du passé ont beau s'éteindre, une par une, tant qu'il y aura des joueurs pour cultiver leur souvenir, elle brilleront toujours.
Après trois épisodes, un spin-off sur Wii et Ps3, et d'autres productions très qualitatives comme Dante's Inferno, Visceral Games s'éteindra en 2017 à la suite d'une décision de fermeture de la part d'Eletronic Arts.