Exo One - Une poésie géologique à toute vitesse
Sommaire
Exo One s'ouvre sur un sonnet, celui de John Magee, Haut Vol. Le jeune poète a écrit son expérience quasi divine du vol en haute altitude à 19 ans, pour finalement terminer sa vie trois mois plus tard lors d'un futile incident technique en plein ciel. Cette histoire, qui mêle absurde et sublime, correspond assez bien à l'expérience d'Exo One. Son créateur Jay Weston nous propose depuis le 23 novembre 2021 d'explorer terres, mers et ciels de mondes extraterrestres, à l'aide d'une petite sphère très dynamique qui se propulse dans les airs. Tantôt saisit par la beauté des événements géologiques ou spatiaux, tantôt excité comme un enfant à l'idée de se propulser à 100 à l'heure, Exo One est d'une poésie à plusieurs niveaux, qui ne donne pas réellement de significations à sa course.
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À contre-courant
La technicité d'Exo One est peut-être ce qui constitue le principal attrait du jeu. Quand il s'agit de transmettre l'expérience du vol, les développeurs proposent souvent des simulateurs fortement réalistes, avec le jeu qui figure aujourd'hui comme l'ultime expérience de pilotage : Flight Simulator. Pour être tout à fait exact, ce sous-genre de jeu présente généralement une grande variété de combats aériens et assez peu de virtuosité contemplative. Et si quelque chose y est technique, ce sont les instruments de vols et le réalisme parfois déconcertant d'un atterrissage ou d'une mise en orbite.
Avec Exo One, le fardeau de la technicité s'envole avec notre engin, loin dans les airs. La création de Jay Weston est à contre-pied des simulateurs classiques et il est à parier qu'il ne sera d'ailleurs jamais rangé dans cette catégorie de jeu. Pour autant, le vol y est prédominant, avec une propension parfois comique à recréer des scènes de voltige aérienne. Ce paradoxe tient dans la particularité de piloter avec les éléments et non contre eux. Par éléments, il faut comprendre tout types de paysages et d'entités naturelles, des océans jusqu'aux agglomérats de nuages.
Notre avatar consiste en une petite sonde sphérique qui a la capacité d'utiliser la gravité et ainsi augmenter sa masse ou la réduire proche de zéro. Tout ce qui prend la forme d'une descente ou d'une montée, qu'il s'agisse de falaises, crevasses, rampes, ou dunes de sable, devient un objectif en soi. Ces éléments sont les incubateurs de notre progression, faisant des paysages les plus distordus nos meilleurs souvenirs. Là où une chaine de rocheuses devrait être une menace dans la plupart des simulateurs, c'est ici une joyeuse promesse de danse céleste. Finalement, notre route nous destine à un portail extraterrestre, qui nous transportera vers une autre planète.
Comme une boule de flipper
Il est très difficile cependant de traduire le gameplay d'Exo One. Celui-ci réside principalement dans l'usage des reliefs, mais aussi des énergies qu'il est possible de capter. L'engin spatial peut en effet emmagasiner une petite quantité d'énergie, afin de changer de forme. Il passe alors d'une sphère à une assiette parfaitement plate, afin de planer comme n'importe quel ovni digne de ce nom. C'est une énergie à la consommation rapide, mais qui peut s'obtenir sous différentes formes naturelles : mouvement, géothermie, orage, hydraulique. Le simple frottement avec une surface (terrestre, gaz, liquide) est ainsi source d'énergie.
Pour le reste, l'attraction gravitationnelle (autrement dit la prise importante et subite de masse) peut se provoquer avec un simple contact de la gâchette droite. La sonde en plein vol subit alors une chute vertigineuse et si par chance on atterrit dans une formation en entonnoir, il suffira alors de lâcher cette masse au moment où on remonte le flanc adverse, pour que notre prise de vitesse accumulée lors de la chute se transforme en tremplin vertigineux. Très vite, l'expérience d'Exo One se traduit alors par une prise de masse dans les chutes (même petites, pour une dune de sable de quelques mètres par exemple) et un relâchement de la gâchette lors de la rencontre avec un relief.
Jay Weston fait ainsi un usage très ingénieux de la vélocité et de l'énergie cinétique. Il nous fait vivre une expérience finalement très libre, sans toutefois permettre au joueur d'être pleinement aux commandes de son engin de vol. D'une proposition a priori très technique, voire physique, il en résulte une aventure portée sur l'instinct, en même temps qu'un rappel de nos perceptions de la gravité.
La poésie de la catastrophe
Le sublime dans le géologique
Il serait donc plus exact de rapprocher Exo One d'expériences plus poétiques qu'un House of the Dying Sun ou Star Conflict. Le poème de John Magee en guise d'introduction annonce d'ailleurs tout de suite de quoi il s'agit : une danse avec éléments de la vélocité. Ses sensations de flottement sont absolument surprenantes, et nous emmènent parfois jusqu'à la mésosphère où il est possible d'admirer un monde presque suspendu. Et que dire de ses prises de vitesse folles, qui brisent pour notre plus grand plaisir le mur du son ? D'une manière plus modeste, Flower expérimente le même genre de sensations, notamment pour son usage des vents et des éléments naturels (Exo One propose d'ailleurs l'usage des courants en mode planeur).
Pour autant, Flower est propice à la création d'une nouvelle biodiversité, en parsemant des graines sur notre chemin, là où les courants d'airs daignent nous porter. Pour Exo One, c'est presque le contraire, puisque notre sonde explore des mondes que l'on qualifierait de morts, qu'il s'agisse du point de vue culturel ou géologique. On se promène en effet de planètes en planètes (une dizaine en tout), pour ne rencontrer que des vestiges civilisationnels, sous forme de monolithes sombres pour la plupart. On peut même aller jusqu'à dire que notre intervention, même minime, est dévastatrice.
C'est particulièrement le cas lors de notre rentrée dans l'atmosphère d'une planète à anneaux. La gravité de notre engin déforme, sur son passage, l'orbite des anneaux, avec pour résultat une retombée des météores cataclysmiques. C'est un spectacle qui demeure cependant magnifique à observer, et à bien des égards on se trouve souvent témoin des déchainements géologiques des mondes que l'on visite. Au contraire de Flowers, c'est une poésie qui relève toute la beauté de la théorie du chaos, pour faire le tableau d'un univers en constante bataille avec lui-même, et dont la gravité est l'acteur de ces entre-chocs, déformations et fusions. À ce titre, Exo One rappelle l'étourdissante expérience Everything, où n'importe quel élément qui constitue l'univers est potentiellement une incarnation.
Un drame humain face au spectacle de l'univers
Cette poésie de la dévastation rejoint une narration mi-figue mi-raisin, entre espoir et désespoir. Une mission spatiale humaine demeure en fond, à coups de flashbacks et d'échos paniqués. On comprend plus ou moins qu'il s'agit d'une exploration de l'atmosphère de Jupiter, menée par une petite équipe, et que celle-ci a été un échec dramatique. L'intervention de la sonde en serait peut-être même la cause, sans réellement comprendre comment. Au final, on ne saisit pas tout à fait les tenants et aboutissants de cette narration tragique et, bien trop occupé à valser dans les montagnes, on prend très vite de la distance face à ce drame d'un autre système solaire.
Il s'agirait a priori d'une arrivée subite de la sonde (et de l'influence de sa force gravitationnelle) dans l'atmosphère de Jupiter, provoquant un déchirement de la navette de l'équipage. Cela confirme à faire de notre avatar un élément de l'univers à part entière, comme un météore ou un objet stellaire, sans conscience de direction mais qui progresse en exploitant les autres éléments. On est donc naturellement captivé par le fonctionnement scientifique de l'univers, qui nous montre le spectacle des quasars, pulsars ou systèmes binaires, plutôt que par ce drame isolé et tristement absurde.
On est frappé, à ce propos, par la qualité photographique des mondes, et la carrière de graphiste de Jay Weston y est certainement pour quelque chose. Les références à 2001, l'Odyssée de l'espace sont pléthores et accroissent l'effet contemplatif. La narration prend d'ailleurs fin de la même manière que l'œuvre de Kubrick, ouverte à l'interprétation, et esquissant le concept d'univers en boucle, en perpétuel recommencement.
Contempler les riches déserts d'Exo One
Des biomes inertes
Le sublime qui habite Exo One est malgré tout son plus grand défaut, car force est de constater qu'il ne laisse pas de place au ludisme. Les dix planètes que l'on visite ont beau être majestueuses et scientifiquement parlant plausibles, elles sont pour la plupart des objets telluriques inertes. Sans tomber dans la magie impossible d'un Valérian, on est en droit d'espérer des mondes aux compositions géologiques différentes de la Terre, ou à des océans faits d'autre chose que d'hydrogène.
À titre d'exemple, tout proche de nous, on sait aujourd'hui qu'il existe sur Neptune et Uranus des pluies de cristaux et que des mers de méthane prolifèrent sur Titan. Une grande richesse de compositions minérale inédites est possible, pour autant Exo One semble réduire chaque planète à un paysage unique, comme s'il s'agissait de biomes Minecraft.
La voltige avant tout
Qui plus est, l'aspect contemplatif est gâché par une caméra hésitante qui semble se heurter à certaines limites de l'espace. C'est un comble lorsqu'elle redirige notre regard, que l'on subit comme une agression dans un musée de l'espace, pour nous inciter à progresser vers la prochaine planète. L'aspect de certains terrains montre aussi un chemin tout tracé, fait de courbes et d'entonnoirs, tandis que tout le reste autour n'est que désert plat. Tout semble nous interdire de nous écarter des sentiers battus, avec le paradoxe d'avoir sous les yeux une planète entière à visiter. S'il nous venait l'idée de prendre la route inverse du prochain portail extraterrestre, on est rapidement sanctionné par un mouvement de caméra brutal.
On ne comprend pas non plus pourquoi Exo One introduit un chronomètre sur le menu du jeu. Il semble que Jay Weston encourage le speedrun de son jeu, oubliant totalement la dynamique contemplative de sa création. Ces éléments trahissent la proposition a priori d'open world, en même temps que cela témoigne d'un refus du contemplatif. Il était pourtant question d'un jeu vidéo artistique selon le développeur lors d'une interview. Il faut se rappeler qu'avant Exo One, il y avait Unknown Orbit en 2012, créé par le même studio, et qui définissait déjà de belles mécaniques aériennes. Le jeu était cependant à destination de l'App Store et a fortiori pour un usage casual, à la façon d'un Angry Bird ou d'un Flappy Bird.
Jay Weston a lui-même fait la filiation avec Tiny Wings, qui demeure efficace sur le plan mécanique, mais sans aucune ambition narrative ou environnementale. Depuis Unknown Orbit, il faut avouer une merveilleuse évolution, mais pour parfaire l'expérience d'Exo One il aurait fallu assumer pleinement sa dimension contemplative et notamment l'enrichir de contenu.
Une poésie fracassante qui ne prend pas son temps
Exo One est une grande réussite de la part de Jay Weston, qui envisage la dimension lyrique d'un monde silencieux mais dont le chaos destructeur n'est jamais très loin. En se mêlant au minéral et au géologique, on découvre tout un univers en formation et en déformation. Plus encore, il propose quelque chose qui transcende les expériences vidéoludiques de vols habituels, en obligeant à l'interaction avec les éléments que l'on rencontre, là où traditionnellement il s'agit d'éviter tout obstacle pour admirer à distance le paysage à partir de son cockpit. Les mécaniques sont plus qu'abouties, elles traduisent merveilleusement des sensations aériennes et virtuoses sans grande complexité dans leurs exécutions.
L'expérience est appuyée par le guttural son de guitare électrique de Rhys Lindsay, dont il faut noter la performance très envoutante. En travaillant avec talent l'artistique et le dynamisme du jeu, Jay Weston a néanmoins oublié le haut potentiel contemplatif d'Exo One. Il aurait mérité une plus grande créativité des mondes ou des interactions et ne pas presser le joueur dans son intimité avec le jeu. La poésie d'Exo One et sa voltige enfantine sauront cependant largement nous captiver durant les deux heures de jeu, mais il sera potentiellement difficile d'y revenir.