Mable and the Wood - Ceci n'est pas un metroidvania
Si les studios indépendants optent souvent pour le Metroidvania, c'est en partie en raison de son canevas bien établi. Avec Mable and the Wood, le développeur Andrew Stewart s'est attaqué à bouger les lignes de cette matrice bien connue. Fin du statu quo ou début du chaos?
Une destinée lourde à accomplir
Au premier coup d’œil, la jeune Mable pourrait faire penser à Merida, l'héroïne du film d'animation Rebelle. Sa chevelure rousse, son ascendance illustre et sa grande épée, dans un monde de guerriers et de magie. Tout semble la préparer à une destinée de glorieuse aventurière. Sauf qu'il lui est strictement impossible de soulever son épée magique, source de son pouvoir. Pire, le poids de cette arme l'empêche même de courir ou de sauter. Une situation délicate quand on est supposé être "Celle qui doit apporter l'aube" et détruire les monstres qui semblent menacer l'humanité.
Mable doit donc s'en remettre à la magie. En se transformant en fée, elle peut voler pendant un court instant en laissant son épée au sol. Ce mouvement lui permet à la fois de se déplacer mais aussi d'attaquer les ennemis en rappelant son épée à tout moment. La lame tranche alors tous les ennemis situés entre elle et sa propriétaire avant de mettre fin au vol de Mable. Ce premier mouvement du jeu, confus et déroutant est à l'image de Mable and the Wood. Pour progresser dans le jeu, il faudra changer ses habitudes.
La belle et les bêtes
Etant un habitué du genre, mes aventures dans la peau de Mable m'ont souvent paru frustrantes. Dans un type de jeu, où l'on privilégie soit des gameplay aériens et vifs (Hollow Knight, The messenger) ou plus lourds mais puissants (Blasphemous, Castlevania), Mable & The wood ne fait ni l'un ni l'autre. Ici pas de wall jump, pas de dash, et encore moins de double saut. Oubliez également les combos dévastateurs ou les magies explosives. Mable, comme le joueur, doit apprendre à se mouvoir, comprendre ses pouvoirs et également se questionner sur les raisons de ses actes et de sa mission.
Au fur et à mesure de son périple, la jeune élue de la prophétie va rencontrer plusieurs monstres dont elle pourra voler les pouvoirs au terme d'un classique combat de boss. A la manière d'un Altered Beast ou d'un Shantae, Mable pourra alors se transformer en araignée et se balancer avec des fils de toile ou bien en taupe et creuser de nouveaux passages.
Pour autant, ces formes ne présentent pas un avantage décisif. Se balancer demande une certaine habileté, et creuser n'est que rarement utile. Une autre forme, acquise plus tard dans le jeu vous permet de vous déplacer à toute allure dans les airs ; il faudra alors prendre garde à certaines parois. Toute transformation connait des forces et des faiblesses. Si bien que le sentiment de montée en puissance, si essentiel au metroidvania est ici presque absent et l'on se retrouve bien souvent à abuser de notre première transformation : la fée. La seule qui ne soit pas liée à la mort d'un monstre.
Une autre voie
Dans le même temps, les PNJ présents sur notre route nous questionnent. Que veut dire la prophétie ? Consiste-t-elle vraiment à détruire tous les monstres ? Et ce n'est peut-être que trop tard lorsque nous finissons par comprendre, que nous avons le choix. Il est d'ailleurs très probable que la plupart de joueurs ne se rendent compte de ce choix qu'au terme de leur première run. Il est possible de refuser de tuer les monstres du jeu, y compris les boss, et d'opter pour la solution pacifique mais cela a un prix. Il faudra explorer le jeu pour trouver de nouveaux passages secrets mais surtout, il faudra renoncer à toutes les transformations de Mable obtenues au combat. A nouveau, il faut oublier et renoncer à la puissance mais ce choix donne une profondeur inattendue au jeu. La partie est plus difficile, mais l'on gagne en habileté et l'exploration devient bien plus intéressante.
Qui est la bête ?
C'est une vraie démarche d'équilibriste qu'a engagé Andrew Stewart, le développeur de Mable & The wood. D'autres jeux proposent des chemins alternatifs plus pacifiques mais ne se privent pourtant pas de nous rendre surpuissant ou de nous doter d'armes toujours plus redoutables, créant ainsi une dissonance ludo-narrative à laquelle nous nous sommes habitués avec les années.
Dans Mable in the wood, le level design et l'histoire servent le même constat, différent de bien des jeux : peut-être n'avions nous pas besoin de toute cette puissance ? Se transformer en fée suffisait. Nous voulions attaquer les monstres pour jouir de nouvelles formes mais à quoi bon ? Même la musique suggère bien souvent que ceci n'est non pas une quête épique mais davantage un calme chemin vers la rédemption.
Plus le jeu crée du gameplay, plus il déconstruit Mable et sa quête. Des pouvoirs nous sont donnés pour qu'on veuille mieux s'en séparer. Plus l'on se transforme, plus l'on perd de vue l'humanité. Le jeu peut bien sûr s'apprécier au premier degré. Il est amusant de varier les transformations et de maîtriser chaque type de mouvement pour se déplacer de manière optimale ou détruire le maximum d'ennemis. Néanmoins, au fil du jeu, la porte de la route pacifiste s’entrebâille de plus en plus et invite le joueur curieux.
Des glitchs au timing étonnant
Se produit alors un étrange phénomène entre les choix de game design et les imperfections du jeu. Mable and the Wood possède pas mal de bugs. Après avoir terminé mon première run et débloqué la "mauvaise" fin, le jeu a planté a l'issue des crédits. Beau joueur, j'ai relancé le jeu et chargé la partie pour terminer le jeu à nouveau. Re-plantage, au même endroit. A la lecture d'autres tests, je ne suis pas le seul dans ce cas et peut-être est-ce un bug uniquement présent sur la version Nintendo Switch.
Un bug n'est pas une qualité, mais croyez-le ou non, c'est peut-être ce bug qui m'a donné le plus envie de recommencer Mable in the woods en version "pacifiste". Comme si, jusque dans son code erroné, le jeu me disait que j'avais fait le mauvais choix. Lors de ma première run, un bug me faisait recommencer en boucle un combat contre un boss en me ramenant au dernier check point avant le moment de la victoire. J'ai réussi à le surmonter en redémarrant la console avant de le voir progressivement comme une douce ironie (même si j'ai ragé sur le coup).
Et c'est ainsi que Mable and The wood avance toujours en funambule, avec des bugs, des choix de gameplay troublants, une physique un peu brouillonne en rupture totale avec le genre et une vision de l'exploration disruptive. Parfois j'ai chuté, parce qu'il est énervant de devoir appuyer à chaque fois le joystick droit pour sélectionner une nouvelle transformation, ce qui ralentit considérablement l'action. D'autres fois, c'est Mable qui disparaissait au gré d'une collision malheureuse. Alors on s'accroche, parce que la direction artistique est attachante, notamment par ses couleurs et sa gestion de la lumière. On se relève parce que la proposition de jeu est audacieuse. Mable and the Wood ose souvent mais parfois de manière bien maladroite avec des bases pas toujours très maîtrisées.
Mable and the Wood : une aventure aussi originale qu'imparfaite
Au fond, à l'image de son personnage principal, Mable in the Wood est un jeu à la forme incertaine, comme une particule à la structure instable. Ni réel Metroidvania, ni platformer classique, Mable prendra un peu la forme que le joueur lui donnera. Dans son livre Rise of the Video Games Zinesters, la développeuse Anna Anthropy décrit le jeu vidéo comme "une expérience définie par des règles". Une définition qui colle bien au jeu d'Andrew Stewart, imparfait à bien des niveaux mais qui propose une aventure protéiforme aux règles surprenantes. Résultat d'un développement houleux, durant lequel son créateur a vécu plusieurs drames personnels, Mable and the wood est une oeuvre difficile à appréhender mais indéniablement unique et personnelle. Même si le loup n'est jamais très loin, je ne regrette pas ma promenade dans ses bois.