Romain Vincent, JVH : "J'ai créé la chaîne pour étudier les représentations de l'Histoire dans les jeux vidéo"
Sommaire
- Peux-tu te présenter ?
- Tu as repris tes études pour te spécialiser dans le jeu vidéo, peux-tu nous en dire plus ?
- Peux-tu nous raconter l’histoire de la création de ta chaîne Youtube ?
- Est-ce que l’idée de ta chaîne était de donner des clefs d’analyse de la représentation de l’Histoire dans les jeux vidéo ?
- Comment t’est venue l’idée de la play-conférence ?
- Qu’est-ce que le joueur en retire ?
- Quels sont tes projets ?
- A quel(s) jeu(x) joues-tu en ce moment ?
Romain Vincent, chercheur associé à la BNF, propose des play-conférences, une façon ludique de découvrir les représentations de l'Histoire dans les jeux vidéo. Il a accepté de nous en dire plus.
Peux-tu te présenter ?
Je suis enseignant en histoire géographie dans un collège de l’Académie de Créteil depuis 2010, et vidéaste sur Youtube depuis 2012.
Tu as repris tes études pour te spécialiser dans le jeu vidéo, peux-tu nous en dire plus ?
Mon métier m’amène à réfléchir énormément sur la pédagogie utilisée lors des cours, c’est cette réflexion qui m’a donné envie de reprendre mes études. D’abord en 2016 via un master en Sciences de l’éducation, puis j’ai poursuivi avec un doctorat sur lequel je travaille actuellement qui porte sur le thème des usages pédagogiques du jeu vidéo. Pourquoi et comment les enseignants français utilisent le jeu vidéo dans leurs cours.
C’est une pratique qui reste marginale et lorsque le jeu vidéo est utilisé lors des cours, il est transformé, on lui ajoute un objectif d’apprentissage qu’il n’a pas de base. Par exemple, en histoire le jeu, par l’intermédiaire du professeur, devient un document, une vidéo, un format filmique, les élèves ne sont pas acteurs, ne sont pas joueurs. Le jeu vidéo se retrouve formaté par l’école. Qu’en est-il alors de l’activité ludique qui est le cœur du jeu vidéo ? Je parlais de ces interrogations et de ma pratique en classe sur ma chaîne et ça a commencé à se savoir et à intéresser de plus en plus de monde.
J’ai eu des visites de médias et des interviews, je devenais l’enseignant qui joue aux jeux vidéo en classe alors que ce n’était pas si magique que cela. Mais grâce à cette médiatisation, j’étais invité dans des colloques universitaires pour présenter ce que je faisais lors de mes cours, ce qui m’a fait rencontrer des chercheurs. De fil en aiguille, on m’a proposé de reprendre mes études pour étudier cette question avec un recul de chercheur, vu que j’avais d’excellents souvenirs de la posture de chercheur lors de mes études en histoire médiévale, cela m’a tout de suite intéressé.
Désormais je propose moins de cours avec jeu vidéo mais mes recherches s’intéressent aux disciplines du secondaire au sens large donc je ne vais pas voir que de l’histoire ou de la géographie. Je vais assister à des cours d’anglais, de philosophie, de français, ou même de SVT où les professeurs utilisent le jeu vidéo.
Peux-tu nous raconter l’histoire de la création de ta chaîne Youtube ?
A l’origine, j’ai créé la chaîne pour étudier les représentations de l’Histoire dans les jeux vidéo. Puis au fil de mes vidéos et expériences, la chaîne a évolué sur la question de la pédagogie. J’ai voulu intégrer dans mes cours l’analyse que j’effectuais pour construire mes vidéos, à savoir décrypter les jeux vidéo d’un point de vue historique. Et naturellement je me suis mis à parler de cet aspect pédagogique sur ma chaîne. Les grosses vidéos sur la chaîne, la série des JVH, j’en fais une par an parce que c’est un format que j’aime bien soigner.
Est-ce que l’idée de ta chaîne était de donner des clefs d’analyse de la représentation de l’Histoire dans les jeux vidéo ?
Oui, c’est une visée d’éducation populaire, on va dire. Je ne cible pas vraiment de gens sur ma chaîne, il faudrait peut-être que je le fasse mais mon activité de vidéaste n’est pas prioritaire.
Lorsque j’ai proposé les play-conférences à la BNF, il me semblait important que les séances soient retranscrites très rapidement sur les réseaux sociaux afin de rendre le contenu disponible au plus grand nombre. L’une des questions que je pose à chaque fois aux intervenants lorsque l’on prépare une play-conférence, c’est : qu’est-ce qu’on apprend en jouant à ce jeu-là ? Qu’est-ce qu’on apprend lorsqu’on n’est pas calé comme nous sur scène sur la période en question ?
La recherche montre bien que le jeu vidéo n’est pas très bon pour enseigner des connaissances déclaratives, des faits historiques par exemple. Les discovery tour d’Assassin’s creed, ce sont des versions éducatives, il n’y a plus de combats, ni de narration à gérer, tu te balades, et tu as un cours historique sur les lieux, les monuments importants. C’est intéressant pour les apprentissages mais ça pose la question du jeu, de l’activité ludique, il n’y en a plus.
Comment t’est venue l’idée de la play-conférence ?
Je suis chercheur associé, la BNF lance un appel à chercheur chaque année pour travailler sur leur collection. Elle a des jeux éducatifs des années 80 qui sont inexploités, donc l’idée est de parler de l’histoire du jeu éducatif en France et de mettre en valeur les activités de la BNF et leurs fonds. Nous avons réfléchi au format et la play-conférence nous est venue plutôt naturellement.
J’ai toujours bien aimé les vidéos sur Youtube avec plusieurs personnes qui discutent d’un jeu, j’ai une appétence pour ces vidéos. Les universités de Bordeaux (Montaigne in game) et de Clermont-Ferrand (les clionautes) proposent ce genre de format. Les chercheurs Mathieu Triclot et Alexis Blanchet, par exemple, faisaient des lives d’analyse en direct sur twitch et parlaient du jeu tout en y jouant.
Qu’est-ce que le joueur en retire ?
Je pose souvent la question en classe, les apprentissages sont faibles. C’est une ambiance, qui ressort surtout, mais en fait les élèves sont concentrés sur l’action et non sur l’histoire. Le jeu vidéo n’est pas une source historique, ce sont les enseignants qui en font un objet d’histoire.
Tout l’intérêt du jeu vidéo c’est l’immersion. Pour que le jeu vidéo soit accepté dans la société, il est constamment obligé de se justifier. Il faut qu’il soit historique, pédagogique, un objet d’art, …. Le jeu vidéo n’est accepté que dans des conditions spécifiques. Il faut toujours le rapprocher d’autre chose. Ce qui m’intéresse c’est de comprendre et de prendre du recul sur les personnes qui essayent de légitimer le jeu vidéo comme autre chose qu’une expérience ludique. Qui sont ces personnes qui disent que c’est un art ? Qui sont ces personnes qui disent que c’est un outil pédagogique ? Souvent dans les discours, on passe à côté du fait de jouer, on l’oublie souvent alors que c’est tout de même l’élément de base du jeu vidéo.
Quels sont tes projets ?
J’ai une play-conférence normalement prévue en juin pour laquelle on attend de savoir ce qu’il va se passer, je mène ma thèse, et lorsque la situation le permettra je recommencerais à aller voir des enseignants utiliser les jeux vidéo pour leur cours.
A quel(s) jeu(x) joues-tu en ce moment ?
Dragon ball fighterz depuis deux ans, ça fait du bien de faire autre chose que des jeux historiques. 1979 Black Friday, il s’agit d’un jeu narratif sur la révolution iranienne. C’est un sujet rarement évoqué dans le jeu vidéo, je l’ai du coup fait en stream. Le studio qui l’a développé est canadien. Et enfin, je joue à Doom eternal.
Merci à Romain pour ses réponses ! Vous pouvez retrouver son contenu sur sa chaîne Youtube ou son blog recherche.