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Xavier Bodenand, Ordi Retro: "On essaie d’être une mémoire du jeu vidéo"

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Après MO5 il y a quelques mois, nous avions également lors de la PGW 2019 pu tendre notre micro à une autre association de préservation du patrimoine vidéoludique, Ordi Retro. Xavier Bodenand a accepté de répondre à nos questions.

Bonjour, est ce que vous pouvez nous présenter Ordi Retro? Quel est le but de l'association? Que faites-vous au quotidien?

Nous sommes basés à Lille, dans les Hauts-de-France et nous travaillons essentiellement dans cette région. L’association a presque dix ans, celle-ci a donc un certain bagageNotre association a une vocation patrimoniale, nous possédons une collection que nous préservons dans les conditions les plus optimales possible aussi bien pour les machines que pour les jeux et tout ce qui va avec, entre autre : les magazines, les manuels, les accessoires... On essaie d’être une mémoire du jeu vidéo non pas seulement pour mettre tout cela dans des placards et être soustrait au regard du public mais pour conserver vivant ce patrimoine au travers d’expositions.

C’est donc le second axe de notre association, mettre en valeur le patrimoine vidéoludique avec l’ensemble de nos collections et des expositions qui la plupart du temps sont thématiques. Cela est organisé comme les expositions de peinture ou de sculpture auxquelles nous pouvons assister. Sauf que là, vous allez voir du jeu vidéo, on va également vous en parler et la plupart du temps vous allez pouvoir y jouer.

Est-il nécessaire d’avoir ce genre d’association actuellement? Les éditeurs ne font pas déjà des efforts au niveau de la préservation du patrimoine?

Sur les consoles, je suis persuadé que non et sur le matériel, probablement pas. Il est évident que dans certaines entreprises, il y a des efforts mais cela ne concerne qu’une poignée d’entre elles et surtout les plus grosses. Je pense particulièrement en France à Ubisoft qui s’est rendue compte de la valeur que peut avoir ce patrimoine, de la valeur de son histoire plus simplement et qui travaille en ce sens à la fois en interne avec un système d’archivage mais aussi en déléguant une partie de ce travail à des associations comme MO5 ou la notre. Pour Ubisoft, leur travail n’est pas la patrimonialisation, ils ne savent pas le faire, ils n’ont pas forcément les compétences pour donc nous essayons d’être là en plus.

Pour répondre à la question de savoir si c’est nécessaire : oui justement, pour tous les autres, le travail n’est pas fait et c’est quand même la grosse majorité. Quand on est une petite structure avec seulement quelques employés, on a ni l’argent ni même la conscience de l'intérêt de faire ce genre de choses. Quand la structure disparaît, ce qui malheureusement arrive assez souvent, tout disparaît en même temps qu’elle, heureusement, il y a des associations comme la notre. Il y a une demi-douzaine d’associations au travers de la France qui font ce travail de conservation, de mémoire du patrimoine vidéoludique.

Au fil des années, avez-vous constaté une amélioration de l'attitude des studios vis à vis de votre travail?

Au départ, ils nous ignoraient, soit parce qu’ils ne voyaient pas l'intérêt soit parce qu’ils considéraient que nous étions des extra-terrestres, ils se demandaient ce que nous tentions de faire et il y avait aussi une certaine méfiance.

Actuellement le discours passe plus facilement et même quand on va voir des petites structures, ils comprennent l'intérêt de garder une trace de leur travail et que nous sommes “légitime” pour le conserver. Il y a une vraie prise de conscience, qui n’est pas encore largement partagée. Il y a encore du chemin, mais ça change, oui.

Le mot rétro ne fait pas toujours consensus et est une notion un peu subjective, comment le définissez-vous?

On ne le définit pas. Dans l’association, on utilise le mot “rétro gaming” par convenance car ce mot parle aux gens, même si nous nous appelons “ordi rétro”, on ne fait pas que de l’ordinateur et pas que du rétro. Nous considérons le jeu vidéo dans son ensemble parce qu’un jeu Playstation 4 deviendra, dans une dizaine d’année, un jeu rétro, nous n’avons pas de limite chronologique.

Ce qui nous intéresse, c’est de montrer la variété du jeu vidéo de ses débuts jusqu’à aujourd’hui, la variété, l’évolution, les modes et les tendances. Le fait que cela soit récent ou pas n’a pas tant d’importance que ça, on s’amuse d’ailleurs avec ça à la PGW car on y propose un stand qu’on qualifie de néo-rétro. Les gens arrivent sur notre stand, ils se disent “alala c’est cool! des vieux jeux!” et on leur dit “non, le jeu vient de sortir” (parfois le jeu n’est même pas encore sorti), nous avons des jeux sortis en 2018/2019 y compris sur des machines des années 80/90.

Nous avons une définition large du concept de rétro parce que pour nous il n’y a pas de différences et nous trouvons un peu bizarre ces clivages. Pour comparer, c’est comme si nous disions qu’il y a Chaplin d’un côté et les Monty Python de l’autre, alors que les deux font parties du registre de la comédie et nous pouvons mettre les deux côte à côte. Nous pouvons mettre Mario à côté de Spyro par exemple et ça ne pose aucun problème de mettre Spyro à côté de Nathan Drake (de la série Uncharted).

Avoir des jeux ressemblant à des jeux rétro qui sortent sur d’anciennes machines. Est-ce une initiative que vous avez démarré et encouragé avec notamment Rétro Vers le Futur?

Rétro vers le futur est une marque que nous avons déposé et qui désigne nos expositions. Si on reprend le cas de la PGW, puisqu’il y a déjà un stand dédié aux jeux anciens, qui est MO5, nous avons voulu faire quelque chose de différent et aussi montrer la richesse des jeux actuels dont une partie de cette richesse se nourrit de références anciennes, soit par leur style esthétique soit par leur gameplay qui sont apparus à partir des années 70 et qui sont repris et remis au goût du jour. Si on prend Celeste qui a l’air d’être un vieux jeu mais qui est 100% moderne, personne n’aurait pu imaginer Celeste en 1985 même avec les capacités techniques de l’époque. Ce qui fait le jeu c’est son gameplay qui est profondément contemporain.

L'intérêt est aussi de montrer des jeux qui ont un succès critique mais qui ne sont pas forcément connus du grand public. Montrer aux gens ce qu’ils ne connaissent pas est aussi notre mission. Si nous voulions montrer Call of Duty (je n’ai rien contre CoD, je tenais à le préciser), il n’y aurait aucun intérêt, les gens peuvent très bien aller y jouer ailleurs et c’est très bien comme ça. Nous essayons de donner une visibilité à des gens qui n’en n’ont pas, soit parce qu’ils ne la cherchent pas, je pense notamment à des auteurs qui travaillent pour le plaisir et par loisir, soit pour des studios qui n’ont pas les moyens financiers, matériels ou humains.

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On peut voir sur les stands des consoles d’anciennes générations, il y a donc une certaine effervescence, chez les jeunes surtout, sur ces consoles justement. Comment l’expliquez-vous, le ressentez-vous?

Ça dépend de l’age des jeunes, pour les plus jeunes, ils ne se posent même pas la question, ils prennent la manette et ils jouent, et pour les jeux qui s’inspirent des anciens ou qui utilisent des vieilles machines, le gameplay est beaucoup plus accessible (se déplacer, sauter, tirer) et donc pas besoin de se poser des questions sur les touches, on est sur des gameplay beaucoup plus simple et beaucoup plus immédiat, c’est ce qui fait qu’une partie du public adhère tout de suite à ces jeux là.

Et puis après vient l’effet nostalgique, oui il y en a un, même pour les jeunes, si par exemple ils ont des grands frères ou des grandes sœurs qui ont joué avec ces ordinateurs ou ces consoles. Et puis nous ce qu’on constate c’est qu’elle se décale, quand on a commencé il y a 10 ans, la nostalgie c’était la NES, la super NES, la megadrive, le commodore 64, la sega, des choses comme ça, alors que aujourd’hui la nostalgie c’est la PS1, la PS2. Les jeunes qui viennent sur notre stand ils sont nostalgiques de GTA San Andreas. Donc il y a effectivement des jeunes qui sont en recherche de ça parce que cela correspond aux jeux auxquels ils ont joués quand ils étaient plus jeune et cela explique que ces jeux là fonctionnent très très bien.

On parle beaucoup de l’émulation justement par rapport à la communauté des joueurs nostalgiques, quelle est votre position par rapport a cette pratique? Est-ce que vous sur votre stand vous en utilisez, pas du tout ou un peu? Et on se pose aussi la question par rapport à la légalité?

Qu’on soit clairs sur la question de la légalité, il y a une loi et il faut la respecter. Pourquoi y a-t-il une loi? Elle est la pour protéger les gens qui font des jeux, pour leur permettre de vivre. Au niveau de l’association on est intransigeant, on est cohérent aussi avec nous même, on défend les gens qui font les jeux, on défend les jeux en eux-mêmes mais derrière il faut qu’il y ait des gens qui les fassent et si on veut leur permettre de continuer à faire les jeux il faut respecter leur travail.

Donc c’est évident qu’on ne se permettrait pas de mettre de l’émulation illégale sur notre stand ou dans des manifestations parce que ce serait irrespectueux et illogique vis à vis de notre message et vis à vis des auteurs de ces jeux, pas seulement des éditeurs, je parle bien derrière de l’ensemble de l'écosystème, il faut qu’il y ait des gens qui vivent de ça et on est très content qu’ils en vivent.

Après pour la question de l’émulation légale, ça dépend, c’est-à-dire que dans certains cas ça peut se justifier quand les machines sont trop vieilles pour fonctionner, on a des machines qui sont quand même relativement fragiles, certaines qui vieillissent mal... L'émulation dans ce cas là peut se justifier, vous voulez montrer un jeu que les gens n'ont pas l’habitude de voir sur une machine que les gens n'ont pas l’habitude de voir et vous utilisez une émulation. Nous on essaie de l’éviter d’une manière ou d’une autre dans la mesure du possible, le choix étant suffisamment large pour nous permettre de faire d’autres choix, mais ça se justifie tout à fait.

Dans d’autres cas ça peut se justifier également si l’émulation est matérielle, et là pour le coup on a le cas sur mon stand puisqu'on a une Megadrive Mini où on a un labyrinthe d’émulation mais c’est une émulation matérielle, alors on peut la critiquer parce qu’elle n'est pas parfaite mais de ce que j’ai vu on est pas très loin de quelque chose de très propre. On a également la chance d’avoir SNK qui nous a fait confiance et Just for Games, distributeur en France, qui nous a eu en exclusivité l'arcade stick neo geo où, la aussi, c’est une émulation matérielle de très bon niveau et un produit légal donc on ne dégrade pas la sensation du joueur en mettant ça.

Pour le reste, effectivement, on valorise à chaque fois non pas l'émulation mais l’expérience originale (les jeux megadrive tournent sur megadrive, les jeux Commodore 64 tourne sur Commodore 64, etc).

Est ce que vous avez des contacts avec d’autre associations comme BNF? Ou avec d’autre acteurs de la préservation etc?

Oui, tout d’abord parce que se serait stupide de ne pas avoir de bons contacts, on travaille tous pour la même chose, on a tous des objectifs qui convergent donc il n’y a aucun intérêt à avoir des accords discordant. Aussi parce qu’il y a encore tout un travail justement de communication à faire auprès des éditeurs et des studios et que plus on est nombreux à tenir le même discours plus on a de forces donc oui on a des relations avec d’autres associations dont MO5 qui est notre aîné, c’est un des pionniers en la matière mais également d’autre associations sur notre territoire, dans les Hauts-de-France, qui ont également une activité de préservation ou d’animation autour du jeu vidéo.

Pour la BNF (Bibliothèque Nationale de France, NDLR) c’est un peu différent puisque c’est une institution. On a des contacts sur des choses sur lesquelles on pourrait travailler ensemble, c’est plus compliqué, évidemment on travaille pas de la même façon. Nous, on travaille essentiellement sur les Hauts-de-France, et la BNF est essentiellement une institution parisienne. Cependant, on a par exemple déjà participé à une table ronde, on avait un des membres de l’association qui était intervenant sur une table ronde de la BNF, justement sur la question de la préservation et des expériences de muséification du jeu vidéo. Donc nous sommes tous ensemble et nous travaillons dans la même direction.

Est ce que l’abondance de remakes et de remastered ne donnent pas plus un intérêt pour le rétro justement?

C’est ambivalent parce que le fait d’avoir un remastered fait qu’on n'a plus besoin d’aller voir le jeu d’origine, puisqu’il va être plus accessible pour le télécharger ou l’acheter directement en magasin, il va tourner sur la console qu’on a dans le salon, on n'est pas obligé d’aller dépoussiérer celle qu'on a au grenier au risque de découvrir qu’elle ne fonctionne plus donc a priori ça pourrait effectivement dire que ça nuit à la redécouverte des jeux anciens, en tout cas ceux d’origine, par le fait que ça propose une expérience nouvelle.

Mais c’est plus compliqué que ça, ces jeux dans un certain nombre de cas ont une porte ouverte vers les anciens, c’est à dire : “je fais Resident Evil 2 et je me demande comment c’était avant?”. Et on a effectivement ce travail qui fait. Alors je vais prendre un exemple beaucoup plus clair peut-être, c’est les pokemon, c’est une série, alors on ne va pas parler de remastered mais d’un épisode à l’autre on voit quand même qu’il y a la même structure, la même construction du jeu.

Les fans de la série, il sont nombreux, et à chaque nouveaux jeux il y a des nouveaux fans mais c'est toujours un point d’entrée vers précédents jeux. Mais c’est pas parce que j’ai 8 ans et que je découvre pokemon avec pokemon or et argent que je vais pas justement me dire “bah du coup c’était comment avant” et je vais découvrir pokemon bleu et rouge. C’est pas parce qu'à 12 ans je découvre pokemon soleil que je vais juste faire pokemon soleil et ceux qui vont suivre. Souvent on a constaté la volonté d’aller voir comment étaient les épisodes d’avant et pour les remastered c’est un peu la même chose.

Et effectivement les gens prennent aussi ce prétexte là pour se dire “ah oui je vais aller voir comment c’était avant” et du coup ils redécouvrent le jeu en question. On est tout à fait pour (les remasters) car cela permet de toucher de nouveaux public, ça ne porte pas ombrage sur le jeu d'origine.

Si je prend une analogie avec le cinéma, car il y a eu de nombreuses polémiques quand on a colorisé des films mais ce fait a permis au public de découvrir ou de redécouvrir des films noir et blanc et de se dire “ce western ou ce film là que j’ai vu qui était colorisé, était d’origine en noir et blanc et en fait il m’a bien plu” donc peut-être que les films en noir et blanc c’est pas si nul et donc on va aller regarder d’autres films en noir et blanc.

Alors oui il y a des logiques économiques soyons pas naïf, Capcom et Konami si tu m’entends, c’est sûr que vous gagnez de l’argent, c’est normal vous êtes des entreprises, mais derrière, d’un point de vue culturel, il y a un vrai intérêt parce que ça permet effectivement d'acquérir de nouveaux publics et de faire découvrir ces jeux à ces nouveaux publics.

Est ce que travailler en tant qu'archivistes du jeu vidéo ça permet de gagner sa vie? Comment survit l'association? 

Alors non, l'association est composée de bénévoles, comme c’est le cas de la quasi totalité des associations. C'est une chance car ça permet d’avoir des compétences variées pour l’association mais c’est également des contraintes car on a tous nos emplois du temps, nos obligations, etc.

Mais du coup on vit, pour l’association, par un certain nombre d’animations qu’on fait, de prestations qui peuvent être de l’ordre de l’animation pure. Par exemple, Mediatek a envie d'organiser une manifestation autour de tel type de jeu vidéo, alors ça peut être des jeux anciens ou des jeux récents, et on va proposer une activité qui nous permet d’abord de tisser des liens, de rester dans un milieu culturel comme avec Mediatek avec qui on travaille beaucoup et d'obtenir des rentrées d’argent.

A côté de ça on travaille également avec une activité d’expositions, donc on a monté au fil des années une douzaine d’expositions qu’on essaye de faire voyager et donc ce sont essentiellement des expositions hors des murs car jusqu'à récemment on n'avait pas de lieu fixe. Depuis l’année dernière nous avons un partenariat avec l’atelier canopé qui est le centre de la source pédagogique de l’éducation nationale, c’est à la fois une maison d’édition mais aussi un centre de ressources (Mediatek, etc), ils ont un lieu à Lille qu’ils partagent avec nous sur des expositions.

Donc la dernière exposition a eu lieu à partir du 30 novembre jusqu’au 30 janvier et sera (NDLR: l'interview s'est déroulée à la PGW 2019) sur la thématique du jeu vidéo, un art à la française et dont on a croisé justement cette question du jeu vidéo comme média artistique, comme pratique artistique également et à travers la ludographie des créateurs français depuis les années 80 et ce genre d’expositions parfois on peut avoir un budget, on peut parfois avoir de l'argent la plupart du temps public, parfois privé, qui permet de faire de l’investissement, de faire l’impression de toute la scénographie, etc. Ce sont les deux sources de revenus et on a également quelques dons mais ils sont essentiellement matériels (des jeux, des consoles, des ordinateurs, des accessoires, des choses comme ça) et ça ça nous permet de vivre, ça permet d'accroître la production de l’association.

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