Derrière l'écran - Antoine Rousselot, Studio EODE : quand le transmédia prolonge l'expérience ludique
Sommaire
- JEU.VIDEO : Bonjour Antoine Rousselot, pouvez-vous vous présenter ainsi que votre studio ?
- A quand remonte la création de votre studio ?
- Toutes vos créations originales sont donc autour de l'univers de Grinn, mais d'où vient-il ?
- Quelles sont, d'après vous, les principales différences entre un studio de jeu vidéo classique et un studio transmédia tel que le vôtre ?
- N'avez-vous donc pas peur de créer des produits de niche qui ne toucheraient qu'un public connaissant déjà l'univers ?
- Y-a-t-il actuellement un moyen de vous aider dans vos différents projets ?
- Et qu'en est-il du financement participatif ?
- En tant que studio indépendant, comment avez-vous vécu cette période de confinement ?
- Parlons plus précisément de ShadowPiercer, votre prochain jeu vidéo. Quels seraient les atouts de ce dernier face aux mastodontes du genre tels que Don't Starve Together ?
- Et qu'en est-il du mode multijoueurs ?
- Avez-vous déjà une idée de la date de sortie du jeu ?
- Merci beaucoup, Antoine, pour cet entretien très intéressant. Une dernière question plus générale : quels sont les jeux auxquels vous jouez en ce moment et quel est le jeu que vous attendez le plus ?
Nous sommes allés à la rencontre d'Antoine Rousselot, créateur et directeur du studio transmédia EODE. Ce dernier propose aussi bien des livres, des jeux de rôle qu'un futur jeu vidéo autour d'un même univers issu de l'imaginaire d'Antoine. Nous nous sommes donc intéressés aux particularités que peuvent présenter un studio transmédia dans la création d'un jeu vidéo.
JEU.VIDEO : Bonjour Antoine Rousselot, pouvez-vous vous présenter ainsi que votre studio ?
Antoine Rousselot : Globalement, je suis directeur artistique et gérant du studio EODE mais également enseignant en concept art et création d’univers. Je m’occupe d’EODE depuis maintenant 15 ans. Nous avons commencé notre activité en tant qu’amateurs sur le Site du Zéro (site proposant un forum permettant d’apprendre le code) d'où nous voulions lancer un projet transmédia autour de l’univers de Grinn, univers médiéval/Fantasy avec beaucoup de Steampunk.
Nous avons tout construit autour de cet univers. En tant que fan d’Ankama depuis toujours, j’ai eu l’envie de monter ce projet sur plusieurs médias différents, ça a toujours été une ambition pour moi : créer EODE afin de porter cet univers sur le plus de médias possibles, c’est-à-dire livres, jeux vidéo ou encore courts métrages animés.
Nous avons commencé à faire nos propres trailers et des projets pour des entreprises pour à terme créer un dessin animé sur l’univers (nous avons plusieurs scénarios). Notre studio s’articule aujourd’hui autour de trois entités : EODE studio (pour le jeu vidéo), EODE éditions (pour les livres) et EODE Boardgames (pour les jeux de société) nous permettant de nous diversifier. Cela nous a permis d’apprendre à faire différentes choses. Grâce aux différentes compétences accumulées, nous vendons aujourd’hui nos services à des clients. En effet, le studio est aujourd’hui découpé en 2 activités principales : développer l’univers de Grinn sur plusieurs supports et d’un autre côté vendre nos services à d’autres studios comme nous avons pu le faire récemment pour le trailer du jeu de rôle Metal Adventures.
https://www.youtube.com/watch?time_continue=46&v=A31UmYgsV4g&feature=emb_logoA quand remonte la création de votre studio ?
J’ai lancé la création du studio il y a une quinzaine d’années. Nous étions au départ quatre associés et sommes passés par la suite du statut d’amateurs à celui de professionnels. Nous sommes basés à Nantes dans un cluster de l’entreprise AtlanGames (association des entreprises du jeu vidéo de l'ouest). Cette association nous permet une entraide et la construction d’un réseau très utile.
Toutes vos créations originales sont donc autour de l'univers de Grinn, mais d'où vient-il ?
J’ai commencé à penser à cet univers autour de mes 13 ans. Avec mon petit frère (qui a gardé de l’importance dans le projet), nous avons passé un été à écrire et dessiner sur un monde qui se voulait une caricature du XIXème siècle avec de la Fantasy. L’idée était de tout exagérer et ainsi créer un monde dans lequel toutes les actions seraient possibles (de la plus horrible à la plus belle). Notre idée de base était de créer une grande expérience sociologique en donnant aux gens le moyen de tout faire. Pour cela, nous sommes allés jusqu’à créer des cartes et personnages.
Si nos premières créations étaient quelque peu enfantines, je me suis accroché à ce projet jusqu’à écrire à mon arrivée au lycée « Les rouages de Grinn », une série de 3 romans. J’ai donc toujours été le facteur central du projet l’ayant mené de A à Z, mais en étant toujours très bien accompagné. Mon associé actuel (Thibaut Lorre) en particulier, malgré son côté plus technique a également beaucoup participé à la création du multivers.
Nous avions au départ une idée utopique de « changer le monde », de changer toute la bêtise humaine que nous ne comprenions pas. Le seul moyen que nous avions était à nos yeux de créer un média qui donnerait le moyen aux gens de s’exprimer au travers d’un monde imaginaire qui leur permettrait de se poser de brutales questions et peut-être changer d’avis sur ces dernières.
Nous avions donc l’idée au départ de créer un MMO dans lequel les actions seraient totalement libres (créer une entreprise, un journal, supprimer un pays, une race) afin de mettre les gens devant le fait accompli de leurs actes de manière exagérée. La possibilité de donner aux gens un moyen de voir les conséquences de leurs actes. Je trouvais ce projet très intéressant d’un point de vue philosophique et créatif.
Quelles sont, d'après vous, les principales différences entre un studio de jeu vidéo classique et un studio transmédia tel que le vôtre ?
L’avantage principal du transmédia vient du fait que nous avons la chance de ne jamais chercher de projet. J’entends souvent d’autres studios m’expliquer qu’ils ont du mal à se lancer dans un nouveau projet, car ce dernier doit plaire à toute l’équipe. A contrario, avec mon associé, nous avons toujours eu la chance de pouvoir choisir entre plusieurs projets car dans notre esprit existent en permanence une cinquantaine d’idées cohérentes.
Certaines d’entre elles sortent naturellement du lot car elles sont plus en accord avec nos moyens actuels ou avec les demandes du public. Nous avons en effet remarqué que le public aime pouvoir mettre les choses dans des cases. Pour exemple notre dernier projet Grinn’s Moonlight (sorte d’Agario doté d’un mode histoire) a eu du mal à trouver son public. Avec notre nouveau projet ShadowPiercer, nous créons une sorte de Don’t Starve Together dans lequel les joueurs se déplacent avec leur base construite sur les wagons de leur train. Le public comprend rapidement qu’il s’agit donc d’un jeu de craft/survie.
La grande difficulté vient donc de là. Plus nous créons de projets liés entre eux, plus c’est difficile à expliquer au public, mais plus c’est facile à créer car il existe énormément de matière pour se lancer. Les questions sur l’univers ou encore l’esthétique ne se posent pas, elles sont évidentes dès le départ. Nous nous sommes déjà posés tant de questions sur cet univers que les messages que nous souhaitons faire passer via nos différents projets sont clairs dans nos esprits.
L'un des secrets du transmédia ? Certainement, la capacité à se concentrer sur plusieurs projets à la fois!
Un jeu reste à mes yeux une œuvre et en tant que telle se doit de dicter un propos, une envie. Ainsi, pour un projet tel que ShadowPiercer, nous avons envie de faire ressentir des émotions aux joueurs en leur donnant accès à divers outils. Un mélange entre un gameplay original et le propos principal de l'univers de Grinn. La grande difficulté réside donc de savoir comment présenter les choses, même si, d’un autre côté, nous savons où nous voulons aller, les liens entre nos différents projets sont construits et chacun d’eux vient s’imbriquer dans ce multivers. Par exemple, dans ShadowPiercer, là où un studio aurait planché pour trouver une menace, nous l’avions déjà décrite trois ans auparavant.
N'avez-vous donc pas peur de créer des produits de niche qui ne toucheraient qu'un public connaissant déjà l'univers ?
Notre principal objectif, qui est certainement le point le plus compliqué pour un projet transmédia, est que chaque produit se suffise à lui-même. C’est primordial. Comme on peut le reprocher par exemple à Marvel, beaucoup de projets transmédia sont interdépendants. L’œuvre, étant composante d’une œuvre globale, n’existe plus en soi. C'est pour moi une chose à laquelle il faut faire attention afin que tout le monde puisse adhérer au projet.
La grande difficulté de la création d'un projet transmédia est de faire en sorte que chaque produit se suffise à lui-même.
Je ne critique pas le principe, je le vois comme un choix, mais dans notre cas, nous avons besoin de créer des œuvres se suffisant à elles-mêmes autour d’un univers transmédia permettant un approfondissement du monde. Chaque œuvre que nous créons doit être compréhensible pour tous tout en ayant sa place dans la timeline du Monde de Grinn.
Y-a-t-il actuellement un moyen de vous aider dans vos différents projets ?
Avoir des médias tels que jeu.video qui nous accompagnent et suivent nos dernières informations durant la création du projet est un vrai plus pour nous. Dans ce but, nous sommes en pleine création d’une campagne de communication autour de ShadowPiercer afin de faire soit une campagne de financement, soit convaincre un éditeur de nous suivre. Pour prouver à de potentiels financeurs la viabilité du projet, nous avons besoin de créer une communauté.
À court terme, l’aide que nous recherchons est donc surtout la création d’une communauté, que de plus en plus de gens nous suivent sur les réseaux sociaux (Twitter, Youtube, Facebook ou encore Twitch). Notre communauté sera notre force. Si le projet plaît, la meilleure aide que nous pourrons recevoir sera l’intérêt que montreront des gens pour notre projet en partageant les informations ou en venant directement discuter avec nous via, par exemple, notre Discord.
Nous avons en outre un système de Patreon qui a pour but de nous dégager du temps à long terme afin que nous puissions travailler à 100% sur l’univers de Grinn (concept arts, développement de personnages, etc.). Tout l’argent que nous recevons par ce biais est donc dédié à cela. De manière générale, si quelqu’un veut nous aider, il peut se procurer nos livres et/ou tente de rentrer dans notre univers.
Et qu'en est-il du financement participatif ?
C’est un sujet sur lequel nous discutons énormément car sur le principe, je n’aime pas l’idée qu’une entreprise demande des dons. Cependant, l’univers de Grinn a un vrai impact financier pour nous : 50% de ce que nous rapportons y est directement injecté alors que ce dernier ne rapporte rien pour l’instant. C’est donc pour le moment compliqué, ainsi nous cherchons vraiment à créer une communauté pérenne.
Avoir une communauté qui nous suit, qui montre son intérêt pour nos projets sera la force que nous pourrons utiliser pour développer de belles choses.
Si vous voulez nous aider à court terme, n’hésitez pas à vous procurer nos derniers livres, à découvrir nos autres projets tels que le jeu de rôle que nous développons en collaboration avec la communauté de jeux de rôle Sous la Montagne ou encore le jeu de société/jeu vidéo Element Fight que nous créons grâce à la SquareOne de Wizama.
En tant que studio indépendant, comment avez-vous vécu cette période de confinement ?
Étant très dématérialisés comme tout l'ensemble de l’industrie digitale, nous n’avons pas été impactés trop violemment (Discord a été notre meilleur ami). Par ailleurs, je suis très attaché au côté studio car nous sommes une équipe très « créa ». Contrairement à une agence de communication qui peut faire exécuter des tâches à distance facilement, nous devons échanger, discuter, commenter les différents travaux, c’était donc quelque peu compliqué via Discord. Cela ne pouvait donc pas durer trop longtemps. Nous sommes aujourd’hui de retour dans nos locaux en respectant les règles sanitaires et y sommes très heureux. La situation était viable mais ne pouvait pas durer trop longtemps.
Parlons plus précisément de ShadowPiercer, votre prochain jeu vidéo. Quels seraient les atouts de ce dernier face aux mastodontes du genre tels que Don't Starve Together ?
Thibault et moi sommes de grands joueurs de craft game, mais avec une vision différente. Mon associé aime par exemple beaucoup Oxygen not Included ou encore Starbound quand je suis plus un builder. Nous faisons donc en sorte que ShadowPiercer soit un mélange des deux genres. Le joueur qui va adorer gérer de manière macro tous les paramètres de sa base tout comme la personne préférant construire une base afin de vivre une aventure trouveront leur bonheur dans ShadowPiercer.
La principale différence avec un Don’t Starve est donc le fait de transporter sa base avec soi.
Dans le jeu, une ombre maléfique inhérente à l’univers, menace le joueur qui doit y échapper pour survivre. Le but du joueur est de survivre dans ce monde en étant livré à soi-même. Le seul moyen de transport viable étant le train capable de traverser l’ombre afin d’aller d’un lieu à l’autre. La principale différence avec un Don't Starve est donc le fait de transporter sa base avec soi qui est le train.
Cette base sera donc construite sur les wagons du train (et autour) et pourra être agrandie et améliorée. Ainsi, le joueur pourra décider de se déplacer afin de découvrir différents lieux générés aléatoirement suivant le biome dans lequel il se trouve (villes, désert, forêts, etc.). Plus le joueur s’éloignera de l’équateur, point de départ de l’aventure, plus le danger sera présent.
La boucle de gameplay est ainsi simple. A l’instar de Don’t Starve, le joueur se promène afin de récupérer des ressources dans des mondes très variés, des donjons, des usines. Avec ces matériaux, le joueur pourra donc améliorer sa base. Nous souhaitons laisser le choix au joueur. Celui qui souhaitera simplement découvrir le monde le pourra, d’un autre côté, il sera également possible de créer des systèmes d’automatisme sur vos wagons afin de créer des ateliers ou encore des fermes automatiques.
Enfin, le jeu est créé sur une planète ronde, il sera donc possible de revenir dans les lieux déjà visités (après avoir fait le tour du monde) pour revenir chercher des matériaux créés par une mine automatique que le joueur aurait créée par exemple. Certaines zones ne seront accessibles qu’avec des locomotives améliorées. Ainsi nous voulons créer un jeu doté d’un univers très vaste avec le craft comme idée principale. L’idéal pour nous serait de donner la possibilité de crafter toute pièce mécanique d’une machine tout en pouvant automatiser le tout. De la création d’un simple boulon à la mise en place de mécanique plus complexe, nous voulons donner au joueur le choix de tout automatiser et ainsi éviter le côté rébarbatif du craft. En résumé, une espèce de Satisfactory lié au côté exploration d’un Don’t Starve.
Et qu'en est-il du mode multijoueurs ?
Un système de multi similaire à celui de Don’t Starve Together s’est imposé dans nos esprits afin de permettre au joueur de s’amuser en solo et en multi. Jusqu’à 8 joueurs maximum, nous tenons à adapter la difficulté du jeu au nombre de joueurs présents (le temps de construction et la difficulté du jeu sera proportionnelle au nombre de joueurs) tout en laissant la main au joueur sur ce paramètre. Nous tenions à créer un jeu dans lequel il est possible de s’amuser en 10h autant qu’en 100h. Via les amis Steam ou Nintendo, nous voulons donner au joueur la possibilité de commencer le jeu en multi d’une manière rapide et simple.
Avez-vous déjà une idée de la date de sortie du jeu ?
C’est encore compliqué à dire car cela dépendra beaucoup du mode de financement. Nous avons aujourd’hui besoin d’un financement de l’ordre de 300 K€. Si cela reste un budget infime pour un jeu, nous sommes toujours à la recherche de financement. Ainsi, tant que nous n’avons pas de précision sur le sujet, il est compliqué de donner une date de sortie précise. Par ailleurs, si demain nous recevions le financement demandé, il nous faudrait encore au moins 18 mois avant de pouvoir sortir une version beta. Pour ensuite produire la finalité du jeu, il faudrait rajouter 2 années (avec un an d’exploitation : DLC, mises à jour, etc.). C’est vraiment un jeu pour lequel nous souhaitons ajouter du contenu après avoir créé la base.
La grande difficulté étant de mettre le pied à l’étrier. Pour cela, nous avons besoin de la confiance des joueurs.
Si nous arrivons à créer une communauté, à intéresser des gens, nous pourrons envisager une campagne de financement qui pourrait beaucoup accélérer les choses. En effet, si une communauté se crée, nous pourrons plus facilement convaincre les éditeurs de nous suivre et nous aider. La plus grande difficulté étant de mettre le pied à l’étrier. Pour cela, nous avons besoin de la confiance des joueurs.
Merci beaucoup, Antoine, pour cet entretien très intéressant. Une dernière question plus générale : quels sont les jeux auxquels vous jouez en ce moment et quel est le jeu que vous attendez le plus ?
Je suis principalement un joueur PC, j’attends beaucoup de la sortie future de Hytale. J’ai par ailleurs passé de nombreuses heures sur Frostpunk ces derniers mois. Bien évidemment, je suis également très pressé de pouvoir jouer à ShadowPiercer !