Fortnite - Jeux vidéo et médiatisation (2/4) : un vecteur de violence ?
Dans la première partie de notre dossier, nous nous étions intéressés à l'exemple du Daily Mirror. Nous avions constaté que certaines pratiques journalistiques pouvaient desservir le secteur du jeu vidéo. Cependant, bien que loin de représenter l'ensemble de l'opinion sur ce sujet, il ne s'agit pas d'un cas isolé. La critique du jeu vidéo est une chose qui existera toujours et ne constitue pas vraiment le problème en lui même. On peut tout critiquer, si tant est que l'analyse est faite de manière constructive et en favorisant le dialogue, mais ce n'est malheureusement pas ce que l'on retrouve le plus. Analysons ensemble les motivations des détracteurs du jeu vidéo dans la presse et tentons de comprendre pourquoi la violence est mise en avant.
Entre dramaturgie et rentabilité
On peut distinguer la critique de la pratique vidéoludique en deux catégories. Ceux qui ont le pistolet chargé...ah non pardonnez-moi. Je voulais dire : ceux qui utilisent la mauvaise réputation du jeu vidéo et qui brandissent les scandales à des fins commerciales (Daily Mirror), et d'un autre coté nous avons les individus sincèrement convaincus de l'apport néfaste du jeu vidéo sur son public et qui nourrissent l'espoir de bannir leurs contenus de nos écrans. Leurs objectifs diffèrent à court terme mais à long terme, que ce soit volontairement ou non, la résultat est souvent le même.
Les articles à scandales
Intéressons nous aux médias en quêtes de sensationnel, et enfonçons quelques portes ouvertes. Pourquoi cherchent-ils des poux dans la tête des gamers ? En réalité, ils n'en cherchent pas vraiment et pour ainsi dire, le sujet du jeu vidéo laissent ces journalistes totalement indifférents. La seule chose qui importe est de faire gonfler le tirage sur un sujet qui regroupe un certain nombre de personnes. La critique est donc une pièce de choix. D'une part, tous les lecteurs d'accord avec l'orientation accablante réalisée se délecteront et obtiendront du grain à moudre. et d'autre part, tous les gens qui ne sont pas d'accord le feront savoir sans appel et offriront une couverture médiatique supplémentaire.
La raison majeure est l'appât du gain, surfer sur une polémique est une technique généralement efficace, en particulier lorsqu'elle est jumelée à l'exploitation d'un drame. Le voyeurisme en général est une recette qui porte ses fruits. Bien sûr, on ne peut pas demander à ce type de presse de faire autre chose que ce que l'on attend d'elle, mais elle dénote d'une forme de journalisme qui fait ressortir le sensationnel avant l'information.
La seconde raison est que l'exercice peut rapporter gros sans être coûteux ou difficile à réaliser. Il suffit de choisir un thème sujet à polémique, pour ensuite trouver des témoignages allant dans le même sens que vous. Avec un minimum de recherche on finit toujours par trouver. La facilité est d'autant plus grande lorsque vous choisissez un sujet qui fait déjà couler beaucoup d'encre. Fortnite est l'exemple le plus fréquent ces derniers temps, mais avant nous avons eu droit à World of Warcraft, Call of Duty, la valeur sûre GTA, Counter Strike et bien d'autres. On peut tout à fait reprendre le même article, en intervertissant le titre du jeu à loisir en fonction de la mode du moment.
Les articles scandalisés
Nous l'évoquions un peu plus tôt, d'autres articles sont, quant à eux, rédigés par des auteurs fermement convaincus que le jeu vidéo peut avoir des répercussions néfastes sur leur public. La motivation initiale est bien différente et paraît porteuse d'une morale louable : prévenir d'un danger pressenti. Malheureusement, on ne se trouve jamais à l'abri de la bien-pensance d'autrui. En effet, toutes les bonnes intentions peuvent aussi bien dissimuler leurs propres raccourcis maladroits et amalgames malheureux. Ce n'est hélas pas l'intention qui compte lorsqu'on souhaite défendre une cause, mais bien la qualité des recherches, la volonté de dialoguer et l'argumentation mesurée. La faute à une volonté, non pas d'épauler son prochain mais de chasser ce qu'on ne parvient pas à comprendre.
C'est le cas de Nadia Khouri-Dagher, journaliste free-lance pour Le Monde et le Nouvel Observateur, également anthropologue et diplômée d'un doctorat en économie du développement. En 2015, elle signa un article dans la tribune Libre du Monde sobrement intitulé : "Les jeux vidéo, Films et romans policiers incitent à la violence".
Soyons clairs dès le départ, cet exemple est volontairement choisi pour son caractère caricatural et l'esclandre qu'il a provoqué à l'époque. Le but n'est pas de s'en servir de défouloir, mais disons qu'il est plus facile d'expliquer un tour de magie quand les fils de nylon sont bien visibles. Et tenez vous-le pour dit, ce ne sont plus des fils à un tel niveau, mais des cordes d'attaches marines. Un article qui au final prêchera pour notre paroisse, mais plus que cela, qui synthétise plutôt bien les préjugés du grand public.
Première réaction à chaud : la gratuité du titre est elle même d'une violence inouïe, est-ce une figure de style ou bien un pamphlet destiné à descendre tout un pan de la culture numérique ? La suite nous le dira.
L'auteure semble ne voir qu'une certaine gamme de jeux vidéo : ceux prenant une thématique militaire. Symptomatique d'une méconnaissance de ce média, les critiques ne considèrent pas la totalité des jeux disponibles sur le marché. Au même titre qu'un article malhonnête cherchant à faire le buzz, on retrouve souvent la même catégorie, en omettant d'évoquer d'autres pratiques. Quid de Kirby ? de Yoshi ? Peut-on dire que Ico ou Final Fantasy 7 ont perpétré une génération d'assassins ?
Il faut être conscient qu'il s'agit d'une technique rhétorique, la même présentement utilisée pour rédiger ces lignes. Nous nous servons d'un exemple précis pour déterminer un forme de généralité. Cette technique est risquée lorsqu'elle est utilisée à mauvais escient. Néanmoins, il n'est point question ici d'affirmer que l'intégralité de la presse traite de manière erronée le jeu vidéo, mais qu'une partie fustige ce média sans toutes les clefs en main pour en saisir les tenants et aboutissants.
Pour être totalement honnête, l'article veut pointer du doigt uniquement les jeux qui font intervenir une représentation où une utilisation d'armes à feu. Mais ce faisant, il participe à cultiver la haine de l'opinion envers le média de manière générale, c'est paradoxal. La raison à cela : un argumentaire unilatéral.
L'auteure reprend les exemples des jeux de son fils lorsqu'il était plus jeune, on se retrouve donc à confronter Black, FPS paru sur Playstation 2 et Metal Gear Solid 2. Si les deux ont une thématique militaire, même dans ce registre, ils offrent une variété de contenu. Le premier est un jeu d'action très rythmé et, certes, violent dans son gameplay. MGS2 en revanche se veut une critique de la course à l'armement pour justifier le maintien d'une paix précaire, des ambitions politiques des dirigeants de ce monde qui risquent l'équilibre de la tranquillité des citoyens. Pourquoi ne pas en parler ? Non pas parce que cela contre-dit son argumentation, mais plus probablement par méconnaissance de leur contenu.
Néanmoins on ne peut lui donner tort sur certains aspects. L'auteure se questionne sur l'environnement global des jeunes individus, le fait qu'ils baignent dans un quotidien dans lequel la violence est présente de manière courante peut amener à se questionner sur les valeurs qui sont diffusées dans notre société. Sans affirmer que les jeux vidéo de tir rendent directement violent, il est important de rappeler que tous les contenus ne sont pas à mettre entre toutes les mains, pour des raisons qui semblent évidentes. Là où les regards divergent en revanche, est le moment où l'on appelle à la censure, à l'interdiction de diffusion.
Dire que les jeux vidéo violents, parmi d'autres œuvres fictives, apprennent aux jeunes à tuer, ou à devenir des délinquants est démesuré. Savoir distinguer le bien du le mal n'est pas une notion qui sait être atténuée par la pratique, même massive de FPS ou de GTA-like. Le véritable danger réside dans la conviction du contraire, car c'est là une tentative de chercher d'autres coupables à des actes abominables.
De la déresponsabilisation à l'apologie de la violence
Lorsqu'on repense à l'histoire de Carl, l'adolescent joueur de Fortnite ayant failli se donner la mort et la manière dont il a été mis en lumière dans les tabloïds, on s'aperçoit que nul ne fait allusion à l'état de détresse psychologique extrême dans lequel il se trouvait avant d'en arriver à envisager un tel acte. L'auteur aura favorisé l'aspect "voyeur" de son désarroi, prêt à jouer sur l'éventualité de son décès pour attirer le lecteur salivant de sadisme.C'est également oublier la responsabilité de ses parents et de ses proches qui n'ont pas su détecter son état de souffrance. N'accablons pas pour autant sa famille, il est complexe d'élever un adolescent et la détresse émotionnelle n'est pas toujours apparente. Mais ce n'est pas à un jeu vidéo de prendre la responsabilité d'une situation dramatique qui provient sans doute d'une accumulation d'éléments divers qui ont impacté cette jeune personne. Il s'agit d'un cas extrême et isolé qui s'est mieux terminé qu'il n'a débuté.
L'exemple de l'article de Mme Khouri-Dagher est également symptomatique de ce phénomène. En piochant dans la ludothèque de son fils (mineur à l'époque), cette dernière a mis en lumière des titres destinés à un public mature, comme le recommandent les indicateurs PEGI. Qu'il s'agisse de jeu vidéo, de cinéma ou de contenu télévisé, il est de la responsabilité de tout un chacun de veiller à ce que chaque média corresponde bien à son public au préalable, avant de remettre en question le média concerné.
La déresponsabilisation est une réaction négative, mais humaine. On réfute sa propre culpabilité en cherchant d'autres explications. C'est malheureux lorsqu'elle touche un drame familial car elle peut occulter la résolution du véritable problème. Mais ce qui est plus grave encore, c'est lorsqu'on applique ce genre de réflexion à un climat de violence et d'insécurité ambiant.
Le risque étant de rendre excusables des comportements qui ne le sont tout simplement pas et à long terme, de banaliser cette violence. Les folies meurtrières que l'on a eu l'effroi de recenser notamment aux USA, ont fait l'objet d'analyses de comptoirs de certains journalistes et dirigeants politiques. Des intervenants signifiant qu'elles auraient été provoquées par une consommation excessive de Grand Thef Auto, d'écoute de Rock&Roll violent et de visionnage de films d'épouvante. Le tout sans remettre en question le rapport aux armes et l'absence de prise en charge d'individus déjà connus des services de police. En sommes nous vraiment encore là ? L'addiction au jeu vidéo est une conséquence d'une instabilité mentale effective, et non la cause de cette dernière.
On peut voir le même genre de réactions notamment sur le site Mumsnet.com, sur lequel de nombreuses mères de famille se réunissent pour discuter de leur répulsion envers le jeu Fortnite. Le titre aurait transformé leurs enfants en véritables monstres, comme les témoignages partagés par nos confrères de Hitek.fr. Soyez rassurés, il s'agit d'un phénomène ésotérique qui survient depuis la nuit des temps... Il porte un nom mystique qui doit pas être prononcé à la légère, ce nom...c'est... L'Adolescence !
Sans plaisanter, les réactions excessives de certains enfants âgés de 11 à 18 ans auraient pu être déclenchées par la pratique de n'importe quel autre jeu vidéo, voire par la pratique de n'importe quelle autre activité de loisir. Cela a existé bien longtemps avant la sortie de ce titre. Les parents râlaient déjà sur les pré-ados qui écoutaient trop fort Nirvana isolés dans leur chambre et qui répondaient à leurs parents quand il était temps d'éteindre. Déjà à l'aube du jeu vidéo, les mamans hurlaient déjà sur les jeunes qui refusaient d'éteindre leur fichue Atari 2600.
Il se trouve que pour cette génération là, et bien c'est Fortnite. Et une nouvelle fois, on se dédouane de son rôle de parent. Rôle primordial mais parfois très difficile à assurer, vous en conviendrez. Sans vouloir radoter, tout contenu ne doit pas être mis à la portée de n'importe qui, et il y a des limites à imposer à ses enfants. Les règles sont évidemment contraignantes à suivre, en particulier lorsque le bambin s'approche de la puberté.
Une violence déjà inscrite dans notre quotidien ?
Et tout ceci - à savoir porter la responsabilité entière d'une addiction et expliquer la violence des individus par le mauvais exemple donné par certains jeux vidéo - participe à banaliser cette violence. Expliquer la hausse des agressions par l'essor du jeu vidéo nourrit la normalité d'un type de comportement. Cessons de rendre justifiable les actes qui ne le sont pas. Cessons de faire croire que les individus ne sont pas vraiment les seuls responsables de leurs actes. Ne faisons pas comme si le problème était aussi simple. Un climat néfaste dans une société peut provenir de multiples éléments contextuels. En tentant de trouver des explications dans l'espace virtuel, on néglige de se préoccuper de problématiques bien réelles comme le chômage, l'acharnement médiatique, la classification systématique des individus. En bref, tout ce qui peut diviser les citoyens au lieu de les unir.
En parlant d'unité, le loisir vidéoludique même à caractère "mature" est justement un outil qui permet aux personnes de se rassembler autour d'une passion commune. En outre, questionnons nous en ce sens : Est-ce le jeu vidéo qui rend le monde violent, ou est-ce la violence du monde qui se traduit dans nos jeux ?
La réponse n'est pas loin. Au même titre qu'un mauvais article sait exploiter certains préjugés, un bon jeu vidéo sait utiliser le monde qui l'entoure. Nous vivons dans un monde de plus en plus agressif, c'est un fait, il n'est donc pas surprenant qu'il en soit de même dans les domaines artistiques dépeignant la société contemporaine. Si certains jeux exploitent cette fibre sans vouloir exprimer de message particulier, d'autres s'en servent pour apporter un regard critique et pour transmettre des valeurs positives à son public. Le message peut être déformé ou mal interprété par les uns et les autres. Soit parce qu'il est maladroitement amené par ses auteurs, soit parce que l’œil du spectateur n'a pas su capter tous ses tenants et aboutissant
Mais, n'est-il pas curieux de se dire que ce ne sont pas les joueurs qui en l’occurrence cherchent une réponse dans leur monde en pixel ?
Le cercle vicieux de la réputation
Notre objectif ici, rappelons-le, n'est pas de victimiser le jeu vidéo davantage. C'est un marché dont le succès est grandissant et qui n'a nullement besoin de redorer son blason auprès d'un lectorat qui ne l'appréciera jamais. D'autant plus que ce n'est pas le seul thème qui fait les choux gras de la presse. En effet, chaque sujet, discipline ou passion, mal compris par simple obscurantisme global peut être visé. Le Rap, la musique Heavy Metal, la mode Gothique, la Transidentité, etc... La liste est aussi longue que la somme des nos préjugés.
La faute aux médias ? Ce serait trop simple et là aussi nous serions encore dans la déresponsabilisation. Bien sûr que tout média se doit de faire preuve de responsabilité et d'intégrité lorsqu'il s'agit de transmettre des informations claires et vérifiées, mais cela ne vaut que si le lectorat a envie de trouver des articles à réelle valeur informative. Ne nous leurrons pas, ce n'est pas systématiquement le cas. Il est tout à fait normal de trouver des contenus plus légers dans le paysage médiatique, mais ce qui l'est moins, c'est lorsque ce contenu provient de l'exploitation de préjugés. A qui la faute alors ? Est-ce nos idées reçues ou bien l'exploitation de celles-ci qui doit être pointé du doigt ? Les deux bien sûr, car si les opinions préconçues existent, il est plus intéressant de les confronter au lieu de souffler sur les braises.
La seule chose qui résulte de ces critiques, c'est le renforcement de la mauvaise réputation que se traîne le jeu, pris au milieu d'un cercle vicieux. Les seuls intervenants capables d'arrêter ce circuit infernal englobant tous les sujets faussement polémiques, ce sont les lecteurs. Hélas espérer un réveil soudain des consciences n'est pas des plus réaliste, car rompre définitivement avec une image ternie qui vous colle à la peau ne s'obtient pas en claquant des doigts et nécessite du travail et surtout du temps.
Prochainement sur Jeu.video...
Fort heureusement, malgré une partie de l'opinion contre lui, le jeu vidéo est loin d'être détesté par l'unanimité de la presse et des autres médias. Bien au contraire, le jeu vidéo sait aussi être valorisé dans les médias et l'opinion public à son égard s'est clairement bonifiée au fil du temps.
Nous vous proposons de le découvrir plus en détail dans la troisième partie de notre dossier consacré au sujet épineux qu'est la représentation médiatique de notre loisir adoré !