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Derrière l'écran - Pascale Chemin : Comédienne et doubleuse

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Derrière l'écran continue avec un nouvel article consacré à Pascale Chemin, que nous avons pu rencontrer lors de la Savoie Retro Games 2017. Partez donc aujourd'hui à la découverte de la doubleuse qui vous a sûrement accompagnés durant quelques heures de jeu et de visionnages de films et séries...

Pascale Chemin Source : Jeu.Video - SRG 2017

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Pascale Chemin, je suis comédienne depuis quelques années, et en ce moment, je prête principalement ma voix dans plusieurs domaines, que ce soit dans le jeu vidéo, les dessins animés, les documentaires, les films, et les audio-livres.

Peux-tu nous présenter ton parcours ?

Je pense que comme beaucoup de gens, j’ai commencé par une école de comédienne qui s’appelle l’école de la Rue Blanche à Paris, l’ENSAT, et j’ai travaillé pendant des années au théâtre et à la télévision. Un jour, j’ai fait une pièce de théâtre dans laquelle je jouais avec beaucoup de comédiens qui faisaient du doublage. Des amis à eux sont venus les voir - directeurs de plateaux, etc… - et quelques personnes m’ont proposé d’assister à des séances et de venir faire des essais. ça s’est plutôt bien passé et surtout, ça m’a plu ! Au début, j’étais un peu sceptique parce que je ne savais pas trop ce que c’était, et petit à petit on rentre dans la façon de travailler.

Quel est ton meilleur - ou un de tes meilleurs - souvenir de tournage ?

(rires) C’est formidable parce que si je parle d’un seul souvenir on me dira “Oh il n’y en a qu’un … !!”. En général, indépendamment du personnage que l’on peut me proposer de doubler, il y a le travail avec le directeur artistique, par exemple. Il y en avec qui on travaille vraiment et c’est très intéressant. J’ai beaucoup aimé Les Animaux Fantastiques et Nos Pires Voisins, ce qui tenait beaucoup au directeur de plateau, ou encore le dernier Call Of Duty… Ça tient vraiment aux personnalités, aux rencontres des gens qui sont intéressants. Après, il y a des personnages qui restent un peu plus en mémoire que d’autres.

Tu as doublé énormément de personnages dans l’univers “Geek” et “Otaku”, on peut notamment citer Female Shepard, Annie Leonhart dans L’Attaque des Titans, Machi d’Hunter X Hunter, Nana Komatsu dans Nana, Dame Isolde dans Dragon Age : Origins… Est-ce qu’il y a un personnage en particulier qui a attiré ton attention, du moins plus que les autres ?

Plus ou moins. Il y en a certains pour lesquels je pourrais donner un mot ou un adjectif pour les qualifier et qui représentent la façon dont ce personnage m’accompagne, car ils nous accompagnent tous un peu. Pour Nana, c’était le romantisme, et ça me faisait marrer de faire ce personnage après Excel Saga qui était mouvementé. Excel, c’était une bombe, elle parlait très vite et c’était un vrai challenge ! C’était très ludique à faire. Shepard, c’est l’étonnement parce qu’au début je ne savais pas que ça allait prendre une telle ampleur, et c’est une forme de fidélité parce que ça dure depuis longtemps. Donc il y a beaucoup de tendresse pour elle. Après, j’aime aussi beaucoup doubler Rose Byrn. Et il y a Nathan dans Yokai Watch qui est très actif ! Le meilleur, le meilleur…. tout est bon ! Tout est bon dans le cochon ! (rires)

Pascale CheminComment se déroule une séance de doublage, en particulier dans le jeu vidéo ?

Tu as raison de le préciser parce que c’est vraiment différent entre le dessin animé/le live (films, séries…), et le jeu vidéo. Ce sont deux trucs à part. En jeu vidéo, il n’y a pas de bande rythmo ou d’image. On travaille seul dans une cabine, avec le Directeur Artistique et l’Ingénieur Son. Il y a un écran devant lequel on a un texte écrit, sans avoir forcément la continuité avec un autre personnage à qui on peut répondre, et dans le casque, on a le fichier son enregistré par le comédien original. On écoute donc ce fichier sonore qui est marqué à l’écran par une forme d’onde, et on essaie de respecter cette onde, le jeu et l’intention, c’est d’ailleurs pour ça qu’il y a le Directeur Artistique. Evidemment, il est aussi là pour nous donner le contexte de l’histoire et du dialogue. Après, pour les cinématiques, on les cale en fonction de ce qu’on voit en plus, mais encore une fois, il n’y a pas de bande rythmo.

Le son est très important dans le jeu vidéo, et c’est très intéressant d’en apprendre un peu plus sur la façon de faire parce que les joueurs ne savent pas forcément comment ça marche…

Oui, donc quelques fois les gens disent “Est-ce que c’est synchrone ? Est-ce que ça ne l’est pas ?”. Ecoutez et renseignez-vous sur la façon dont on enregistre ! (rires)

Bien que tu ne sois pas très jeux vidéo, comme tu as pu nous le dire avant cette interview, as-tu déjà joué à un jeu que tu as doublé ?

Non. Quand je dis que je ne suis pas jeux vidéo, je veux dire qu’y jouer n'est pas dans ma culture, je préfère les faire. Je pense que dans le jeu vidéo, il y a des maillons qui forment une chaîne et arrivent à un tout pour former un produit. Il y a les gens qui dessinent, qui codent, les ingés son, ceux qui traduisent, qui doublent… et les joueurs. Moi, je suis un maillon parmi ça, c'est ma place pour le moment et elle me va, je ne sais pas faire autre chose. Au même titre que tout le monde, je suis un petit bidule. Et ça, j'aime le faire.   Après, je n’ai effectivement pas la place d’un joueur. Pourquoi ? Je ne sais pas… Je suis quelqu’un qui, quand il commence quelque chose, le fait à fond, donc je serai peut-être addicte ? Mais j’aime les gens qui parlent du jeu vidéo. La passion et la disponibilité des joueurs font que je me suis intéressée au jeu vidéo indépendamment du fait de le faire. Qui plus est, la voix est là pour donner une émotion. Moi, ma voix ne m’en procure aucune, je la connais par coeur. Donc si j’avais quelque chose à faire, ce ne serait certainement pas jouer à un jeu vidéo que j’aurai doublé, ou je le ferai peut-être en anglais. Mais si c’est mon doublage, ça va me faire sortir du jeu. C’est comme les films, je ne vais pas m’amuser à regarder ceux que j’ai doublé. En tout cas, je n’y arrive pas.

Même si tu ne joues pas, est-ce que tu as quelques souvenirs liés aux jeux vidéo ?

J’en ai liés aux enregistrements, bien évidemment, sur tout ce qu’il va se passer sur le plateau, la façon d’enregistrer, des moments de rire… Sinon, il y a bien un moment qui, pour moi, a été très important : l’enregistrement de la vidéo faite pour le N7 il y a deux ans, où Shepard disait adieu. Dans le studio, il y avait le Directeur Artistique, les ingés son… tout le monde ! Toutes les personnes qui avaient travaillé sur Mass Effect. On s’était tous retrouvés. Et quand on dit “Ici Shepard, terminé.”, eh bien oui, c’est terminé. C’était un moment assez chouette parce que Shepard c’est la fidélité, des épisodes qui se sont suivis… Après, il y a toujours les rencontres avec les gens. Il y a des personnes qui viennent me voir parce que ma voix a suscité une émotion chez eux, donc on a envie de se parler. C’est exactement ce que je disais toute à l’heure. Voir la petite étincelle dans les yeux quand ils disent “Il y avait ça ! Et puis ça aussi !”, c’est important pour moi.

Que penses-tu de la vision actuelle du grand public sur les jeux vidéo ?

Elle évolue, et c’est bien ! Comme je le dis, moi je ne suis pas dans cette sphère-là, je ne peux voir que de l’extérieur et entendre qu’en étant un petit peu en retrait. Je crois que la vision des “profanes” sur le jeu vidéo est en train d’évoluer. Quand on ne connaît pas quelque chose, on va forcément mal en parler. Et je pense que beaucoup de gens, lorsqu’ils parlent du jeu vidéo - et peut-être moi y compris -, en parlent très mal car ils ne le connaissent pas. Et c’est plutôt ça qu’on entend. Je comprends que ça puisse faire grincer les dents des gens qui font ces jeux, qui connaissent… Donc cette vision a été extrêmement tronquée et réductrice, et peut-être assez négative. Je pense que c’est en train de changer, et ce n’est pas plus mal parce qu’il y a des systèmes narratifs hallucinants ! Visuellement, un jeu vidéo, c’est extrêmement beau ! Il ne faut pas se leurrer :  les problématiques de certains jeux vidéo ne sont que le reflet des problématiques de la société actuelle. C’est un art, mais on ne le présente pas comme tel ! Quand je vois tout ce que les gens font pour les développer, les expositions… C’est magnifique !

Que penses-tu de l’évolution de la représentation de la femme dans les jeux ?

Elle est exactement comme dans la société ! C’est marrant, parce que j’en parlais justement avec Philippe Dubois, le président de MO5, toute à l’heure. J’ai l’impression, en tant que femme et comédienne, qu’il n’y a pas beaucoup d’héroïnes féminines dans le jeu vidéo. Lui me dit que quand elles sont là, elles ont un caractère assez affirmé, sont identifiables, reconnaissables… Je lui ai dit que quelques fois, on sert un peu de faire-valoir dans les jeux. Et, au final, on peut se demander si ce n’est pas la même chose dans notre société. Je ne veux pas avoir un discours féministe à deux balles, ce n’est pas ça. Ce que je veux dire c’est que oui, il y a probablement moins de femmes dans le monde du jeu vidéo - joueuses (même si le nombre augmente et c’est très bien), héroïnes (il y a UNE Lara Croft, pas une multitude)…- c’est exactement la même chose dans la société. Mais encore une fois, ça évolue, et tant mieux ! Mais il y a encore des petites choses un peu machistes…

Source : Twitter Mass Effect Source : Twitter Mass Effect

Tu le dis très bien : on a noté une augmentation de joueuses ces dernières années. Qu’en penses-tu, et que penses-tu de leur image et des différentes dérives ?

C’est comme partout ! Je discute avec beaucoup de joueuses par différents biais, et je trouve ça très bien. Et c’est d’ailleurs souvent elles qui écrivent des papiers, qui alertent, m’envoient ce qu’elles ont fait sur Shepard… C’est un personnage qui fait la même chose, qu’on choisisse un homme ou une femme, il y a donc cette égalité indépendante du sexe. C’est pour ça qu’il est assez emblématique dans certaines communautés. Après, c’est exactement comme dans tout. La plupart des joueurs sont ravis d’avoir des joueuses, et il y a quelques personnes que ça dérange parce que pour eux ça doit être quelque chose de plus masculin. Je pense que la barrière se situe simplement dans l’envie et le plaisir qu’on prend à jouer. Qu’on soit un homme ou une femme, ce n’est pas la bonne étiquette pour moi. Je vais juste raconter une anecdote à propos de la vidéo du N7 qui m’a fait rire. Il y a eu énormément de retours sur internet, et c’est vrai que quand des gens m’écrivent des messages, j’essaie toujours de répondre. C’est une question de principe et de respect. On me parle, je réponds. C’est la moindre des choses ! Dans les messages, les gens me remerciaient, etc… Et parmi eux, il y avait un mec qui disait qu’une femme ne pouvait pas sauver la galaxie, qu’elle devait faire “KKK”. En allemand, ça veut dire Cuisine, Eglise et quelque chose comme Pouponner ou Foyer. En gros, rester à la maison. Quand j’ai vu ça, je me suis demandé ce que je devais faire. Il y a quelques personnes qui m’ont appris à ne pas répondre par la violence sur internet, parce que ça ne sert à rien. Du coup j’ai laissé, et je me suis même excusée (rires). Je lui ai dit que j’étais désolée de lui déplaire, ou quelque chose comme ça. Et au final, ce sont les joueurs et les joueuses qui lui ont dit que c’était complètement hors de propos et rétrograde. Depuis, je ne réponds plus à ce genre de commentaires.

Est-ce que tu as des conseils pour les personnes qui souhaiteraient se lancer dans le doublage ?

Comme n’importe quel métier, c’est difficile et ça s’apprend. Ce n’est pas parce que vous savez parler que vous savez forcément doubler. Moi je sais écrire, mais je ne suis pas écrivain. Pour moi ça se travaille, une technique, au même titre que savoir faire du bon pain ou savoir faire un bouquet de fleur… Il faut avoir envie et commencer par essayer d’apprendre, pour voir si ça plaît. C’est un métier passionnant, comme beaucoup d’autres. Et ce n’est pas parce que ça a l’air fun que c’est forcément ce pour quoi on est fait. Des conseils... c’est difficile ! Moi aussi j’en attends, si vous en avez, donnez-m’en ! (rires)

Un mot de la fin ?

Quand on est en cabine, on est un peu seul pour faire les choses, et on doit faire appel à son imaginaire, etc… Quand j’enregistre, c’est comme si j’avais 5 ans parce que je me marre, ça me fait plaisir, et j’y crois. Mais se retrouver comme ça dans des conventions, à croiser des gens qui ont aussi 5 ans quand ils jouent parce qu’ils y prennent du plaisir, c’est un véritable moment de partage que je trouve important. Ce n’est pas ce qui justifie mes enregistrements, parce que j’aime ce que je fais, mais c’est un plus et un très beau cadeau ! Donc merci à tous ! Et venez à des conventions parce qu’il y a de superbes ambiances. Partager sa passion où qu’on soit, c’est toujours important ! Merci de m’avoir lue !