Spelunky - Comment un simple mineur à révolutionné le game design?
Il est petit et paraît inoffensif, mais douze ans après sa première apparition dans un obscur freeware, le mineur de Spelunky incarne toujours la référence en matière de rogue like, un genre qu’il a très largement contribué à revitaliser. Alors que Spelunky 2 tarde à montrer le bout de nez, la rédaction revient sur un monument de game design et du jeu indépendant.
Un freeware sauvage apparaît
2008 restera une année marquante pour le milieu du jeu indépendant tel que nous le connaissons aujourd’hui. Cette même année, alors que Braid nous fait remonter le temps et promet un futur glorieux aux indies, Jonathan Blow, son créateur, entend parler d’un jeu nommé Spelunky, qui commence à se faire connaître dans le microcosme des développeurs indépendants. Enthousiasmé par le titre, Jonathan Blow met alors en relation Derek Yu, papa de Spelunky, avec Microsoft pour pousser le jeu sur le Xbox Live Arcade.
Loin des projecteurs, Derek Yu, déjà récompensé pour son travail sur le metroidvania Aquaria, a conçu ce jeu avec passion et l’a mis à disposition en téléchargement gratuit sur le site The Independant Game Source, véritable Mecque des développeur indés. Il ne se doute alors pas une seule seconde que son œuvre va devenir une petite révolution dans le monde du game design. A première vue, Spelunky n’est qu’un jeu de plate-formes classique dans lequel vous incarnez un petit personnage mignon dans les tréfonds de mines particulièrement hostiles. A la différence de Super Mario Bros et autres jeux du genre, les niveaux possèdent cependant deux caractéristiques peu communes : ils sont générés aléatoirement et entièrement destructibles.
Rogue Like et plate-formes : Une union contre-nature
Spelunky est un rogue-like, en référence au jeu Rogue, un rpg auquel Derek Yu va emprunter les concepts de génération procédurale des niveaux et de mort permanente (pas de sauvegarde possible). Si aujourd’hui, les rogue-like sont rentrés dans le langage courant du jeu indépendant, il s’agissait encore d’un genre de niche au moment de la sortie de Spelunky, surtout dans le domaine très codifié des jeux de plate-formes. En effet, comment imaginer des niveaux générés aléatoirement dans un genre où le level design est au centre de l’aventure? comment proposer une expérience sans cesse différente dans des jeux où la réussite est bien souvent conditionnée par la mémorisation intégrale des endroits parcourus et des patterns des boss rencontrés ?
Avant d’être développeur, Derek Yu est d’abord un joueur invétéré des jeux Nintendo en général. A travers Spelunky, il veut à la fois retrouver la simplicité des jeux comme Super Mario Bros mais aussi la sensation d’aventure et de mystère des premiers Zelda.
« Ce design courageux et risqué, basé sur la joie de la découverte, a eu un impact très fort sur moi en tant que game designer. Dans Spelunky, je voulais capturer les émotions que j’ai eu dans cette première aventure » explique Derek Yu dans son livre Spelunky.
La génération procédurale dans Spelunky
Le principe de jeu est en effet plutôt simple. Les profondeurs de Spelunky se composent de quatre zones de quatre niveaux : les mines, la jungle, les cavernes de glace et le temple. Tous les niveaux sont de taille identique et sont construits sur le même principe. Vous entrez par une porte qui se ferme derrière vous et vous devez trouver la sortie.
Pour chaque niveau, un premier script génère l’organisation globale du niveau, ses embranchements, le lieu d’entrée et la sortie, puis un second script s’affaire à la composition de ses embranchements : une échelle, un mur, du vide etc... Enfin un dernier script concerne la disposition des objets, des monstres et des items. Ce savant moulinage algorithmique permet au joueur de ne jamais jouer le même tableau, la même partie et d’être constamment surpris à chaque fois qu'un temps de chargement se termine.
Des niveaux entièrement destructibles
Muni de votre fouet, de cordes et de quelques bombes, vous ne savez jamais quel danger vous attend. Et en posant une puis deux bombes, vous vous rendez compte que... Tout le niveau est destructible! Les bombes et les cordes ne sont jamais complètement nécessaires pour atteindre la sortie, mais elles permettent au joueur d’explorer l’intégralité de la surface du jeu et de récupérer les meilleurs trésors. Surtout, elles vous permettent de faire votre propre chemin, d'éviter certains pièges et d'arriver plus vite à la sortie.
Un improbable miracle de level design
Tous ces éléments fusionnent dans un improbable miracle de level design. Sur une surface réduite avec des mécaniques rudimentaires (courir, sauter, donner un coup de fouet), Derek Yu arrive à construire des niveaux cohérents, tous différents et à inciter le joueur à l’exploration en lui donnant une relation directe avec le décor. Pas de scénario ni de textes envahissants, juste le plaisir d'une aventure et une narration cryptique par le biais du game design. Un seul et unique niveau reste invariablement le même, celui du boss final, mais pour arriver jusque la, il faudra vous armer de patience.
"J'ai réalisé que le jeu vidéo domestique était devenu de plus en plus frustrant pour moi pour plusieurs raisons : Les longs tutoriels, le sentiment d'être pris par la main et les constantes interruptions du jeu pour des indices ou des cinématiques. J'étais attiré par un jeu à gros budget avec la promesse de graphismes très avancés, seulement pour être paralysé par un game design d'un autre âge. Je me suis rendu compte que j'étais plus attiré par les expériences de jeu denses et stimulantes", exprime Derek Yu
La demi-heure la plus longue
Spelunky est dur, très dur. Durant tout le jeu, vous ne disposez que de quatre cœurs. Et si vous tombez dans des pics, de la lave ou du vide, c’est la mort instantanée. Vous souhaitez jouer la prudence et scruter patiemment chaque recoin d’un monde avant d’emprunter la sortie ? Un fantôme invulnérable se chargera de vous punir pour votre fourberie. Sans respawn, sans sauvegarde. La seule marque de votre progression se situe sur votre journal d’aventurier, qui consigne chaque nouvel élément rencontré au cours d’une partie ainsi que votre compteur de morts.
Malgré cela, Spelunky demeure un jeu juste, fun et bienveillant. Même si le « hasard » détermine l’agencement des niveaux et de leurs nombreux pièges, votre réussite a souvent moins à voir avec la chance qu’avec votre niveau de maîtrise des mécaniques du jeu. La direction artistique est attachante, les musiques invitent à l’aventure et le titre ne se départit jamais d’un certain humour, même au moment de décrire l’instant de votre mort à chaque écran de game over.
Influencé par les jeux d’arcade, Derek Yu a souhaité proposer une expérience certes difficile, où chaque mouvement représente un enjeu, mais dont la durée n’excéderait pas une demi-heure. Atteindre l’ultime niveau du temple et vaincre le grand Olmec ne prend que 20 à 30 minutes mais il vous faudra surement plusieurs dizaines d’heures avant d’y arriver. Cette vision du game design, où richesse rime avec densité, d’une difficulté élevée mais gratifiante, avant Dark Souls et avant la multiplication des rogue-like, va donner des idées à de nombreux développeurs.
Un héritage qui transcende les genres
En 2012, quatre ans après la sortie de Spelunky Classic en freeware, le grand public découvre Spelunky HD sur le Xbox Live Arcade, réputé pour ses pépites indés. Pour proposer une œuvre plus accessible, Derek Yu a retravaillé entièrement le jeu avec un nouveau moteur graphique, des contenus supplémentaires et un mode multijoueur, tout en respectant l’esprit originel de sa première mouture. Modeste succès sur Xbox, le jeu prendra finalement son envol grâce à Steam puis sur PS3 et PSVITA et s’écoulera à plus d’un million d’exemplaires. Si le succès public fut long à se dessiner pour Spelunky, sa popularité auprès des développeurs dès 2008 a inspiré plusieurs hits indépendants et encouragé les créateurs à repousser les frontières des rogue like. Parmi les plus connus, impossible de ne pas citer The Binding of Isaac, rogue-like monstrueux et hilarant conçu par Edmund Mc Millen :
« Si Spelunky n’avait pas existé, Il n’y aurait pas de Binding of Isaac, Spelunky est l’un des premiers jeux à avoir mélangé le rogue-like avec d’autres genres » avoue McMillen à Polygon en 2012.
Même son de cloche chez Subset Games, studio derrière le jeu d’aventure spatiale Faster Than Light (FTL) et le tactical Into The Breach :
« Avant Spelunky je jouais déjà à des rogue-like, mais Spelunky a été le premier à allier les principes de level design des rogue-like pour en faire autre chose. Le jeu a donné un nouveau sens à la mort permanente et à la génération procédurale tout en restant toujours fun. Ce fut une découverte époustouflante et le jeu a tout simplement changé ma perception du game design. Depuis, tous mes travaux ont été profondément influencés par Spelunky. Par exemple, le fantôme de Spelunky, qui vous pousse à agir et continuer votre aventure, nous a inspiré l’idée de la flotte qui pourchasse votre vaisseau dans FTL. » indique Justin Ma, développeur du jeu, dans l’épisode 12 du podcast The Spelunky Show Like (oui, le jeu a tellement marqué les esprits qu’il existe un podcast entièrement dédié à ce dernier !).
Autre genre mais même influence pour le rpg de rythme Crypt of the necrodancer :
« Mon objectif de design avec Crypt of the necrodancer était de faire un mélange de dungeon crawler et de rogue-like qui paraisse juste pour le joueur. "Juste" de la manière dont Spelunky paraît juste. Quand vous mourrez dans Spelunky, vous ne pouvez généralement que vous en prendre à vous-même. Du moment qu’un jeu est juste, il peut être incroyablement difficile sans frustrer le joueur. » révèle Ryan Clark, développeur du jeu pour Brace Yourself Games, à GamaSutra.
Le roi sous la montagne
La liste est encore longue et l’on pourrait citer pêle-mêle les scripts du château de Rogue Legacy, le système d'alarme dans le jeu d'infiltration Invisible Inc ou encore les pixels modulables du jeu d’action Noita.
Même si ces jeux ne sont pas uniquement des plate-formers, tous s’inspirent plus ou moins de cette tranchée creusée par Spelunky. Avec un jeu simple, court et intelligent, Derek Yu a brisé le caractère austère et élitiste du rogue-like et l’a ouvert à tous les autres genres en construisant non seulement un template parfait de game design mais aussi un feeling unique lié à celui ci.
En 2020, Spelunky fait toujours figure de pionnier mais aussi de roi sous la montagne. A l'exception peut-être du metroidvania Dead Cells, aucun jeu n’a réussi à reproduire cette alchimie unique entre plate-formes et rogue-like. Avec Spelunky 2, attendu dans le courant de l’année sur PS4, Derek Yu aura la lourde tâche de succéder à lui même et de marquer à nouveau les esprits des développeurs en devenir.