Sept studios forment l'éditeur Kepler Interactive
Pour débuter une rentrée sur les chapeaux de roue, rien ne vaut un petit coup de pouce pour accélérer nos projets et faire de l'année qui vient une réussite. Ce geste bienfaiteur peut être monétaire, et c'est ce qui est arrivé au très fraichement né Kepler Interactive, qui a rempli son porte-monnaie de 120 millions de dollars grâce à NetEase. Avec cela, Kepler vise déjà les étoiles, de quoi pérenniser peut-être son modèle de collectif de développeurs.
Quand les développeurs deviennent éditeurs
Sept studios pour une économie alternative
À l'origine des lois sur la gravitation universelle, Kepler est un nom bien choisi pour ce conglomérat de studios qui ont décidé de se regrouper ensemble sous la bannière Kepler Interactive. Il s'agit de sept studios de développement qui ont fait le projet de fonder ensemble cet éditeur. Comme un pied-de-nez à l'économie vidéoludique actuelle, ces sept studios font le vœu de gérer eux-mêmes l'éditeur qui accompagnera leurs projets, renversant ainsi une hiérarchie parfois écrasante.
Situé à la fois à Londres et Singapour, l'éditeur Kepler Interactive s'est installé sur deux surfaces du globe très prolifiques en matière de production vidéoludique. Ces centres européens et asiatiques sont les hubs économiques et technologiques parfaits pour le lancement de ce collectif d'indépendants qui auront besoin de tout le soutien nécessaire pour faire vivre leurs ambitions. Ces sept membres sont A44 (Nouvelle-Zélande), Alpha Channel (Canada), Awaceb (France), Ebb Software (Serbie), Shapefarm (Japon), Sloclap (France) et Timberline (Etats-Unis).
Tchia et Scorn sont des productions que la filière surveillait déjà de loin et qu'on peut espérer voir le jour bientôt grâce à Kepler. Elles accusaient un manque de soutiens financiers, et les studios Awaceb et Ebb Software préféraient garder à distance le monde des éditeurs. Tchia s'était ainsi tourné vers le fond de financement français de Kowloon Nights et c'est justement le fondateur de cet organisme, Alexis Garavaryan, qui aura maintenant la gestion de Kepler Interactive. L'éditeur fonctionnera alors comme un investisseur, mais sera aussi un nœud entre les studios, afin que ceux-ci échangent technologies, compétences ou stratégies commerciales.
S'inter-posséder pour mieux régner
Dans les faits, les directeurs des studios fondateurs possèdent une part équitable de l'éditeur et sont actifs dans les décisions de l'entreprise via un comité de studio réunit chaque semaine. En revanche, cela ne veut pas signifier qu'ils ont une part de décision dans le développement des autres studios. Chaque studio est totalement indépendant dans le collectif et gère seul le développement de ses créations ou de son équipe.
D'un autre côté, l'éditeur Kepler Interactive possède une part de chaque studio. Cette possession transversale et interchangeable entre l'éditeur et les studios a pour objectif de créer des échanges harmonieux, qui se dérouleront sur un même pied d'égalité. On évite alors une situation trop hiérarchisée, où l'un pourrait exercer une pression financière sur l'autre.
Il faut noter que le choix d'un éditeur bienveillant est souvent compliqué pour les développeurs indépendants. La solution la plus simple est parfois l'autoédition et c'est aujourd'hui une pléthore d'indépendants qui font ce choix périlleux (It's anecdotal, Matt Makes Games, Kinetic Games, pour ne citer qu'eux), par peur de céder une part artistique pour un côté plus passe-partout.
Un collectif qui démarre au quart de tour
À ce sujet, le collectif n'est pas une forme d'association nouvelle chez les studios. On peut en effet se souvenir du collectif Bouftang qui regroupe sur l'Île de la Réunion plusieurs studios. Par manque d'investisseurs financiers et d'éditeurs, ce groupe s'est formé par la force des choses, pour témoigner de la grande richesse vidéoludique qui émerge sur l'île, malgré un cruel dédain de la part des éditeurs. Atlangames, en France métropolitaine, exécute ce même travail de communication et d'accompagnement des studios adhérents, afin d'aider au maintien du réseau vidéoludique dans l'ouest.
Toutefois, ces initiatives ne profitent pas d'un budget conséquent et n'investissent donc pas monétairement dans les studios qu'elles représentent. Kepler Interactive est une formule inédite, il s'est en effet trouvé un partenaire très vertueux auprès du géant chinois NetEase, avec un fonds de financement de 120 millions de dollars. Cet investissement est cependant garanti sans entrave et ne donne pas droit d'ingérence à NetEase dans les affaires de l'entreprise. Il est le premier moteur pour lancer la machine Kepler, et dans un marché saturé de studios il est bon d'aider au lancement d'un cluster international qui pourra s'avérer utile dans l'avenir (sous-traitance, compétition vertueuse, génération de talents ou d'outils, etc.).
Pour Pierre de Margerie, du studio Sloclap, cet argent profitera dans l'achat de part des studios et au démarrage de projets vidéoludique de qualité :
"Cet argent il sert d'abord à intégrer des studios dans le groupe puisque Kepler prend des participations majoritaires dans les studios du groupe, c'est-à-dire les sept studios annoncés aujourd'hui mais potentiellement d'autres studios par la suite [...]. Et cette levée va nous permettre également d’investir dans les studios du groupe pour accélérer le développement, nous donner les moyens de nos ambitions et nous développer plus vite et plus fort."
Kepler Interactive vise la lune ?
Avec une croissance vidéoludique qui marque un décollage économique plus que réussi, la filière survole toutes les autres productions culturelles et semble se construire un avenir radieux. Dans un contexte aussi prospère, Kepler Interactive a les moyens de se constituer une place solide à l'international. Elle peut devenir un agent important dans la production artistique de jeux vidéo, en même temps qu'une alternative éditoriale inspirante. Qui plus est, avec un fonds de 120 millions de dollars et des sorties indépendantes attendues, l'entreprise démarre en trombe.
Son système économique et alternatif évoque la création en 1992 d'Image Comics, une maison d'éditions de comics créée par un collectif de dessinateurs américains. Jim Lee, Rob Liefeld ou Erik Larsen constituaient les grands noms de ce collectif, avec pour valeurs un attachement tout particulier à la préservation du copyright pour l'artiste. Avec un lancement tonitruant, l'entreprise a cependant connu un déclin au milieu des années 90, avec pour cause le manque de compétences éditoriales et entrepreneuriales des artistes. Il faudra attendre l'engagement de professionnels du métier pour stabiliser l'économie d'Image Comics qui constitue aujourd'hui un grand éditeur de talents, notamment Robert Kirkman (The Walking Dead) ou Brian K. Vaughhan (Saga).
Avec Alexis Garavaryan à sa tête, Kepler Interactive profite de l'expertise d'un financeur important et ne devrait pas subir les mêmes intempéries qu'Image Comics. Si le système Kepler est un succès dans les années à venir, il faut peut-être s'attendre à plus de regroupements de ce genre dans le monde des indépendants.